Partie 3 : Olargues- Roquebrun
29.8 Km / 9h57
21h19, 89 km, 133 ème sur 152 (avec toujours une vingtaine de coureurs derrière moi) voilà quels sont les chiffres lors de mon arrivée dans le hall d’entrée de la mairie d’Olargues. L’estimation étant de 21h30, tout est OK de ce côté-là. Peu de monde dans la salle mais toujours cet accueil sympathique et attentionné des bénévoles qui me proposent à boire ou à manger. Je pose mon sac et me prépare un petit « souper » avec les produits habituels du ravito. Je ne sature pas encore de m’alimenter uniquement à base de gâteaux secs, barres énergétiques, bananes, saucisson et chocolat, bien que ce soit mon régime depuis bientôt 24heures. Accompagné de coca et d’eau gazeuse voilà ce « dîner » terminé. Je repère mon amie (nous sommes intimes désormais) la doc dans la salle, elle m’informe que son stock a fondu et qu’elle ne peut me donner que la moitié d’une dose. Je vais devoir finir la course ainsi, j’espère que les douleurs ne vont pas être trop pénibles. Quoi qu’il en soit je la remercie vivement car sans elle je ne serais jamais arrivé jusqu’ici. Mon programme m’accorde une 1h00 de pause à Olargues, cela laisse encore 1h00 de marge sur la barrière horaire (23h30). J’avais pensé faire une petite sieste d’une vingtaine de minutes afin d’anticiper sur les besoins de sommeil de la 2ème nuit, même si pas mal d’études démontrent que l’on peut tenir si les épreuves ne dépassent pas une trentaine d’heures (dans la mesure ou l’on arrive sans dette de sommeil) . Pour l’instant je n’ai pas vraiment envie de dormir, mais j’ai encore en mémoire les quelques coups de barre en montant au Pic de Montahut ou je me serais bien posé sur le bord du chemin…
Au fond de la salle, les podologues discutent dans l’attente de « clients », je leur demande si je peux me reposer un moment dans leur coin ? Aucun problème, ils me proposent même de m’installer sur leur » lit d’opération » et de me réveiller dans 20 minutes. Wouahou !! Quel plaisir de retrouver la position allongée, de fermer les yeux, avoir crapahuté pendant 22h00 dans la montagne et les cailloux est une bonne manière de retrouver le bonheur de choses si simples. Encore une fois, je me rends compte que participer à ce type d’épreuve éprouvante, souffrir physiquement, mentalement, durant des heures est une des plus belles façons de se sentir vivant, en symbiose avec son corps. C’est lors de ces aventures hors limites que l’on prend conscience de la chance que l’on a de vivre ces émotions uniques et intenses. Je ne dors pas vraiment mais je me déconnecte, je m’évade de la salle, de l’univers de la course, bien aidée par l’ambiance très calme qui m’entoure, bref je me repose.
Au bout d’un moment j’émerge, me relève alors que la podologue m’annonce qu’il reste encore 2 mn, elle me demande si j’ai besoin de quelque chose ? A priori, non, mais vu qu’ils sont 3, l’air désoeuvré, je lui demande si elle peut jeter un œil sur ma cheville. Elle flashe sur mes chaussettes Compressport rose fuschia et me dit qu’avec des chaussettes aussi sympas elle veut bien s’occuper de mes pieds. Elle propose de me faire un strap sur ma cheville qui est quand même bien enflée et demande à son collègue de venir. Toujours étudiant, il va se servir de mon corps (enfin de ma cheville) pour effectuer le 1er strap de sa carrière. On papote, on se chambre mutuellement (grâce à moi ils ont quelque chose à faire et eux me répondent que je suis sans doute leur dernier patient….). Ils sont tout les 3 autour de moi et pendant que l’un pose le strap sur les conseils de la podologue, l’autre me perce une petite ampoule et me badigeonne de Nok. C’est cool, on plaisante, on s’occupe de moi, je profite de ces instants de détente, de ces rencontres, qui sont des moments forts lors d’une course. Lors de courses de type ultra, la notion du temps passé pour faire un break est très relative pour des coureurs de mon niveau. Il est clair que pour les premiers (qui ont d’ailleurs terminé la course depuis plusieurs heures, le 1er étant arrivé à 15h23…) leurs stops aux ravitos s’apparentent plus à ceux des courses de F1.
Ceci étant et bien que ce soit très agréable, le temps tourne, la course n’est pas terminée. Je dois abandonner mes compagnons qui vont pouvoir plier leurs affaires et rentrer chez eux. Après les avoir remercié pour leurs soins, je récupère mon sac, change les piles de ma frontale, fait le plein de ma poche à eau et de mon bidon. Je retrouve Stephane et lui propose que l’on reparte ensemble. Je ne souhaite pas repartir tout seul, avec la nuit, la fatigue, j’ai peur de m’égarer et puis je vais rentrer dans des conditions de courses (la distance, une 2 ème nuit) qui me sont inconnues. Mais Stéphane m’annonce qu’il ne repart pas ! Un peu surpris, je lui affirme que l’on va y aller tranquille. Mais non, je vois dans son regard qu’il est au bout: » Je n’en peux plus, cela va encore être très difficile, j’arrête là ! Je n’insiste pas et sans trop me poser des questions, j’enfile mon sac et je sors pour rejoindre un groupe de 4 coureurs qui vient de quitter la salle.
Section Olargues- Vieussant : 13 Km
Il est 22h20 cela aura fait un stop d’ 1h00 à Olargues. Après avoir pris le temps d’installer ma frontale, me voilà obligé de courir pour rejoindre mes futurs compagnons de route. Au 1er embranchement je pars dans la mauvaise direction, plus de balises! Je scrute l’obscurité pour tenter d’apercevoir leurs frontales.Oui ! Là bas! Les voilà! Ce sont les gars que j’ai doublés en descendant sur Olargues , une fille s’est jointe à eux. Visiblement ils se connaissent et font course ensemble depuis déjà un bon moment. Le stress, plus le mini sprint pour les rejoindre font que je suis en nage. Malgré la fraîcheur de la nuit et le vent (je n’en parle plus, mais il continue de souffler, même si c’est avec moins de violence que sur le plateau du Caroux), j’ai trop chaud et je me suis trop habillé en partant d’Olargues.
Nouvel arrêt, dépose du sac, j’enlève la première couche et je repars. En marchant rapidement je rejoins le groupe et me cale dans leurs pas. Ils ne sont plus que 3, un des leurs est parti devant. On m’explique qu’il se sent mauvais en descente (et non pas qu’il sent mauvais) donc il prend de l’avance. Tout en avançant je discute avec un des gars, on se raconte notre course et nos expériences antérieures. Ce n’est que son 2 ème trail, il ne court que depuis 2 ans. Je me fais l’impression d’un vieux de la vieille (ce qui est le cas, je doit avoir 20 ans de plus que lui) et il semble impressionné quand je lui raconte que j’ai bouclé 2 Marathons des Sables, la CCC, quelques Saintélyon et diverses autres bricoles. Ceci étant, je lui fait remarquer que nous sommes ensemble ici et c’est moi qui suis impressionné de le voir à ce niveau pour sa 2ème course nature. On arrive sur une route après une légère descente (Km 94) où je prends un peu d’avance sur mes compagnons, avance qui s’amplifie dans la montée suivante. Me revoilà seul dans la nuit, mais le contexte a bien changé depuis 24h. Je suis assez serein, je n’ai pas d’inquiétude, les balises fluo sont faciles à repérer et je vois au loin, là haut comme un phare la lumière de la frontale d’un concurrent(le 4ème larron du groupe) en train de grimper le Pic de Naudech.
Il est minuit, Km 96, cela fait 24h00 que je cours (et marche), je vient de dépasser mon record de durée de course qui était de 22h25 (lors de la CCC en 2011). Tout content j’envoie un SMS à mes proches pour leur annoncer la nouvelle. J’ai également dépassé mon score de distance qui est de 95 km (toujours sur la CCC), mais le véritable objectif c’est les 100 Km ! Par contre je suis en retard sur mes prévisions car j’avais estimé être au sommet du Naudech à 0h00 et il me reste encore 200m de dénivelé à franchir. Je suis sur un passage à 30% de pente et ça va durer 1 Km et en plus c’est très caillouteux. Je suis plié en deux et je m’aide des mains pour ne pas glisser. Je jette des coup d’oeil fréquents sur ma montre pour lire l’altitude et calculer ce qu’il me reste à grimper avant le sommet. 0H42, ça y’est je débouche sur la piste et c’est le sommet. Les phares d’un véhicule trouent l’obscurité, voilà le point d’eau. Cela fait plaisir de trouver du monde à cette heure de la nuit. Quelques mots avec ces 2 bénévoles (qui sont là depuis au moins 9/10 h) est bien plus réconfortant que le simple ravitaillement en eau. Ceci dit je ne m’attarde pas et après qu’il m’ai indiqué le chemin à suivre (dans 200m tu prends la descente à gauche), je repars en trottinant. Je rejoins un concurrent qui doit être celui de la frontale aperçue dans la montée. Malgré mon retard sur mes estimations j’avance quand même correctement puisque je suis revenu sur lui. Je lui explique que ses collègues sont en gros à un bon ¼ d’ici, il décide de rester avec moi et nous attaquons la descente qui débute par un sentier étroit et plutôt caillouteux (le contraire aurait été surprenant).
Je me suis mis derrière car je trouve que ma lampe pas très performante. La pente est raide et technique, en pleine nuit il ne s’agit pas de faire une erreur sur un appui sinon on va y laisser une cheville (je n’en ai déjà plus qu’une) ou cela va être une chute. Le sentier, quand il y en a un, est très instable, on doit faire attention à ne pas glisser sur les rolling stones (jeux de mots pour cailloux roulants) tout en restant attentif à repérer les rubalises fluo, souvent accrochées aux branches des arbres. Je ne sais pas si mon nouveau compagnon est mauvais descendeur, mais il va plutôt vite et je ne peux pas me relâcher si je veux rester dans son sillage et profiter de son travail d’éclaireur (dans tous les sens du terme). Les cuisses commencent à devenir douloureuses et mes vieux genoux grincent, les effets du dernier Doliprane (ce n’était qu’une demie dose) s’estompent ils déjà? Il nous semble apercevoir des phares de voitures, celà voudrait dire que l’on approche d’une route et donc de Vieussant? Hallucinations ? En tout cas on descend toujours au coeur du maquis. On finit par rejoindre une large piste ou l’on prend le temps de souffler. Dans l’obscurité quelques lumières sur la gauche, peut être Vieussant, mais ça semble bien loin… Une balise sur la gauche nous entraîne sur un sentier lorsque on voit une lampe frontale qui se dirige sur nous ??!! C’est certainement un concurrent, mais alors, qui est dans le mauvais sens ? C’est lui ! Il a pris le chemin par la fin en venant de la piste ayant raté la rubalise de l’entrée(heureusement qu’il nous a rencontré sinon il repartait à Olargues…) Il se glisse entre nous, je fais le serre fil et l’on repart. De nouveau c’est une descente avec une alternance de sentiers, de chemins caillouteux et de pistes. Je commence à sentir venir une forme de lassitude, de saturation, j’en ai marre et j’envisage d’arrêter à Vieussant.
J’ai atteints les 100 km, je suis en course depuis plus de 24h, pourquoi continuer? Je rumine ces mauvaises pensées tout en continuant à suivre mes 2 compères. Plus qu’une fatigue physique ou des douleurs lancinantes, je me sens usé, vidé psychologiquement. Je repense à Stéphane qui s’est arrêté à Olargues, je comprends son choix, finalement le but de cette course c’est de passer les 3 ascensions du Caroux, après, quel intérêt? Il est plus d‘1h00 du matin, je suis en retard sur ma prévision (1h00 à Vieussant), continuer va m’entrainer sur une arrivée vers les 5/6 h. Je connais ces instants de flottements, je sais qu’à un moment ou à un autre ces pensées tournent dans un coin de la tête, qu’il faut les combattre, mais j’ai vraiment l’impression d’avoir atteint les 2 challenges. Tout d’abord de n’avoir pas lâché dans la descente sur Lamalou et abandonné, ensuite d’avoir franchi les 3 montées sur le Caroux. Bien sur être finisher, c’est l’accomplissement, l’objectif premier de toute épreuve, mais est ce que j’en ai encore envie?
De tergiverser ne m’empêche pas d’avancer et je finis même pas par passer devant notre nouveau compagnon, le dossard 21, David, car Laurent, mon binôme depuis le sommet du Naudech, se détache du groupe et je veux rester avec lui. Ces derniers hectomètres sont interminables mais nous arrivons enfin au bas de la descente, on longe la rivière avant d’arriver au pont. C’est avec une impression étrange que je l’emprunte car il n’y pas de parapet et en pleine nuit cela n’est pas très rassurant. Je traverse en marchant de peur qu’une bourrasque de vent me pousse dans l’eau tumultueuse. Une fois sur l’autre rive on monte sur la gauche et nous voilà à la mairie de Vieussant. Km 100,7 (102 Km à ma Suunto) il est 1h33, je suis 127ème sur les 140 qui restent en course.
Dernier ravitaillement, ça sent vraiment la fin de course et la fin tout court. Il y a 3 personnes dans la salle de la mairie en tout et pour tout, 3 bénévoles qui attendent les derniers coureurs pour pouvoir fermer la boutique. On pose nos sacs, on grignotent 2/3 trucs tout en buvant un peu de coca et d’eau gazeuse. 4mn plus tard le dossard 151 arrive, c’est un vieux (entendez par là qu’il fait beaucoup plus vieux que moi, ce qui est exact car je découvrirais en lisant le classement qu’il est V4) et c’est mon voisin du bus!!! Comme quoi même après 100 bornes on se retrouve. Derrière lui arrive les 3 compères que j’ai lâchés au pied du Naudech avec un quatrième larron qui les a rejoint. L’ambiance monte d’un cran avec ces nouveaux arrivants, on commence à discuter avec le responsable du poste (qui se trouve être le bras droit ou gauche d’Antoine Guillon) sur la dernière section. On demande des tuyaux sur le parcours pour estimer le temps de course qu’il reste. L’assistant d’Antoine nous prévient que la zone que l’on emprunte pour contourner la zone de villégiature du vautour (ou de l’aigle je ne sais plus très bien) est très raide mais ne dure pas longtemps. On demande des précisions sur le pas longtemps mais il reste vague (environ 500m)… Tout le monde est partant pour continuer à en découdre et terminer, j’évacue donc toutes mes envies d’abandonner. Je ne veux pas rester ici tout seul à attendre pendant 2h00, la fin de la barrière horaire, pour me faire rapatrier vers l’arrivée On décide de tous partir ensemble avec une estimation d’en finir vers les 6h00 du matin. Il n’est pas loin de 2h00, j’envoie un SMS pour annoncer que j’ai battu mon record de distance et que l’on va démarrer en groupe de Vieussant. Je change les piles de la frontale, remplis mon bidon d’eau gazeuse et …
Section Vieussant- Roquebrun 17,5Km/ 5h43 de course…
…Nous voilà dehors, direct ça grimpe, pour traverser et sortir du village puis sur un petit sentier. Jaume (le V4) ouvre la marche, je me suis calé à sa suite, le reste du groupe s’échelonnant derrière. Pas fou les jeunes, on met les vieux devant pour faire la trace et nous on les suit tranquilles. Jaume, en vieux briscard m’explique de passer devant (c’est ce que je comprends dans un baratin, qui me fait penser qu’il est Italien, alors qu’en fait j’apprendrais à la fin qu’il est Espagnol…), ce que je fais volontiers car son rythme est un peu lent pour moi. Ceci étant, ouvrir la route est vraiment compliqué car au delà de la pente qui est raide, on avance sur un chemin plutôt technique et il faut souvent s’aider des mains pour franchir les blocs de rochers, voir sauter un peu à l’aveuglette parfois. Devant, je dois également faire l’effort de repérer le balisage, il ne faudrait pas que j’emmène toute cette petite troupe sur un mauvais chemin.
Il est 2h00 du matin, cela fait 26h que nous sommes partis et nous avons plus de 100 bornes dans les pattes, ce qui fait que je n’ai pas la banane et je commence à regretter un peu de n’être pas resté à Vieussant. Malgré tout je garde le rythme et je profite d’avoir pris quelques mètres d’avance pour pisser un coup dans un virage. Cela continue de monter, plusieurs fois je crois être au sommet, mais à chaque fois la désillusion et le sentier (quand il y’en a un) continue de grimper. Je n’ai plus de batterie dans l’Ipod, mais cela ne me gène pas vraiment car depuis un moment je n’ écoutais plus vraiment la musique. J’ai conscience que mes sens et mes émotions partent un peu dans tous les sens. Le sommeil, la fatigue me brouillent l’esprit et le raisonnement. Mes jambes fonctionnent avec un seul mot d’ordre: on avance, un pas devant l’autre, cailloux, obstacles ou pas, on avance. Mes bras et les bâtons étant également en mode automatique, la mécanique continue sa progression même si le cerveau qui la commande a un peu disjoncté.
Après un temps plutôt indéterminé (je dirais quand mêle dans les 1h30 environ) on rejoins une piste. Jaume et Eric me passent sans un regard (ni un petit merci …) et s’envolent dans la nuit. Avec le reste de la troupe on fait un petit briefing car Catherine veut absolument s’arrêter pour dormir un moment. Michel et Vincent décident de rester avec elle. Avec Laurent et David on choisit de poursuivre sans faire de pause. Rapidement avec Laurent on prend de l’avance sur David et l’on se retrouve tous les deux de front avec le halo de notre frontale qui éclaire la piste une dizaine de mètres devant nous. J’ai le sentiment que mon esprit se détache de mon corps, que je deviens spectateur de cette carcasse qui marche mécaniquement le regard rivé sur le halo de la lumière de ma lampe. Je suis hypnotisé par ce flux lumineux, insensible à la nuit, à l’obscurité qui nous entoure. Mon environnement se limite à ce qui est éclairé par la frontale. Le manque de sommeil, l’épuisement commencent vraiment à perturber les sensations et le raisonnement. Pour sortir de cet état, je m’oblige à porter le regard au loin, dans l’obscurité, au delà de la portée de ma lampe. Peine perdue, je trébuche et je finis par éteindre ma lampe en tentant d’expliquer à Laurent ce qu’il se passe. On continuer à monter (et oui car ça monte toujours) sur cette piste côte à côte avec la seule frontale de Laurent.
A la sortie d’un virage on aperçoit en bordure du chemin, une lumière, on pense que c’est une balise car elle est immobile. En s’approchant on découvre qu’il s’agit d’un concurrent avachi dans le fossé! C’est Gérald (dossard 178), la tête en arrière, sa frontale éclairant les étoiles. Il a les yeux fermés, inquiet (il dort ou il est mort?) on lui parle, il nous répond que ça va, qu’il faut absolument qu’il dorme et qu’il repartira plus tard. Rassuré, on l’abandonne dans son ravin et on poursuit notre route. Après quelques mètres on entend une voix, c’est David qui nous appelle, nous avons raté l’embranchement, la balise était à côté de Gérald… On quitte la grande piste roulante pour une côte bien raide sous couvert de petits arbres, cela doit être le début du fameux passage. Laurent ouvre la marche, la pente devient de plus en plus prononcée et le sol glissant car pour une fois il n’y a plus de cailloux, mais de la terre meuble. Je prend le relais de Laurent, plus j’avance plus cela devient comme un mur et je suis obligé de m’accrocher aux branches ou au tronc des arbres pour ne pas basculer ou glisser. L’effort est violent, le cardio à bloc et je m’arrête tous les 5m pour souffler. Je sens la colère qui monte en moi (après coup je me dis que c’est une bonne chose car si cela avait l’abattement je me serais assis par terre et je n’aurais plus bougé), je n’arrête pas de vilipender à haute voix le gars du ravito de Vieussant qui nous a dit que c’était «pas long». Je me persuade que l’on va sortir de cet enfer rapidement, mais ce que je vois c’est uniquement la prochaine rubalise blanche, accrochée à un arbre 2m au dessus de moi, à 5m de distance… On fait 10m, on s’arrête,on repart, on stoppe de nouveau pour récupérer. Avec Laurent on râle, on maudit les organisateurs. Nouvel arrêt, de rage je sors mon téléphone et fais le numéro d’urgence. Je ne veux pas qu’ils viennent me chercher (je ne vois pas comment ils pourraient d’ailleurs…) je veux juste les insulter, me défouler. Personne ne répond, je recommence, rien, c’est occupé, heureusement que l’on n’est pas en train de crever au fond d’un ravin. Pas calmé, on repart.
Cela va durer une bonne heure ou nous aurons l’impression d’avoir fait des kilomètres alors que l’on du en faire 1 seul! Un cauchemar après 28h de course, plus de 100 km parcourus, à 4H00 du matin alors que je n’ai pas dormi depuis je ne sais plus combien de temps. Sorti de ce voyage au bout de l’enfer, on demande à David de prendre la tête du groupe, il est resté plutôt calme et silencieux durant ce passage, à cet instant il sera un meilleur guide pour nous trois.
Hébété, je n’ai plus trop conscience (et de souvenirs) de la suite du parcours, simplement que nous descendons toujours dans la forêt. Rapidement, on dépasse David et je me mets dans les pas de Laurent car ma lampe donne des signes de faiblesse. En fait c’est surtout moi qui donne des signes de faiblesse, je flotte dans un brouillard et j’ai les yeux qui se ferment tout seul. Je m’oblige à garder de la lucidité car le sentier reste rempli de pièges. On approche d’une rivière ce qui voudrait dire que l’on arrive au point bas de la descente. Avant d’attaquer la remontée, on approche d’une petite clairière et l’on décide de s’arrêter 2mn. Après avoir posé le sac et s’être assis on s’endort sur le champ!! Heureusement David nous rejoint et la lumière de sa frontale nous sort de ce micro sommeil. Sans trop réfléchir, on renfile les sacs et l’on repart derrière lui. De nouveau, je m’éparpille au niveau mental, j’en veux à la terre entière, notamment aux organisateurs que je maudis intérieurement est extérieurement. Laurent me suit sur ce terrain (et sur l’autre aussi d’ailleurs) et nous voilà à râler et pester sur le vice et la perversité d’Antoine Guillon et de ses acolytes pour avoir concocté une telle fin de parcours. David ne dit toujours rien et je finis par le soupçonner d’accointance avec l’organisation (c’est dire dans quel état je me trouve) et j’essaye même de savoir s’il ne connaitrais pas un raccourci, bref je suis prêt à tricher pour en finir. Sa réponse : » il faut continuer à avancer » ne fait rien pour diminuer ma suspicion à son égard. On débouche de la forêt, on commence à distinguer les premières lueurs de l’aube. La montée est toujours raide, mais la végétation, elle, devient moins dense. On découvre un mazet, puis une maison, en moi même je me dis que c’est peut être les premiers signes que l’on approche de Roquebrun. Je ne me rend pas compte qu’il reste encore plus de 7 Km et j’ai oublié que l’arrivée est au bout d’une descente.
Arrivé sur un chemin qui conduit à une route on repasse devant David, nous voilà au point d’eau (Km 112). Les 2 bénévoles couchés sur un matelas au bord de la route se lèvent précipitamment en nous voyant débouler. J’essaye de ne pas passer ma mauvaise humeur sur eux, ils n’y sont pour rien. Au contraire, ils nous proposent de l’eau et nous annoncent l’arrivée à 1h30/2h00. Il est 5h30, donc on n’arrivera pas à 6h00, mais il va surtout falloir avancer rapidement si on ne veut pas se retrouver hors course (limite 8h00). Cette éventualité me redonne un coup de fouet (je ne vais pas me faire éliminer après avoir traversé toutes ces épreuves), je franchis le talus qui rejoins la piste avec Laurent dans mes pas. C’est assez roulant, on éteint la frontale et nous voilà côte à côte en petites foulées à se raconter notre vie et notamment nos activités professionnelles. Après avoir traversé cette nuit sans avoir vraiment échangé beaucoup de paroles, le retour du jour (et aussi la volonté d’oublier la distance qu’il reste encore à parcourir) nous ont rendu prolixe. Alors que l’on passe près d’une maison, on se fait dépasser comme une flèche par un coureur, c’est Gérald !! On l’avait oublié et surtout laissé en train de dormir dans un ravin, le voilà plein de bouillon après 20 mn de sieste. 10mn plus tard, voilà qu’il nous redouble !! Non il ne s’est pas trompé de chemin, il s’est simplement arrêté pour satisfaire à des besoins naturels. Comme il nous le précise : » on ne mange quasiment rien, mais il a quand même eu besoin de s’arrêter… ».
Le soleil commence d’apparaître derrière la montagne, réchauffant les couleurs du paysage. En même temps que j’ai conscience de la beauté qui m’entoure, de la chance de profiter de ces instants offert par la nature, je me rends compte que c’est la 2 ème fois que je vois le soleil se lever et que je suis toujours en course! Il y a là quelque chose d’un peu irrationnel, que mon cerveau a un peu de mal à assimiler. Pourtant cela fait bien 2 nuits et une journée entière que je cours, il n’y a pas erreur. Incrédule, je regarde ma montre, effectivement voilà 30h que je suis parti et j’ai parcouru 114 Km ! Seulement 114 km ? Oui, car au point d’eau cela en faisait 112 ! C’est terrible, on n’avance pas !
Avec Laurent cela réveille notre rage envers l’organisation de la course. On accélère le rythme tout en maugréant envers ces inconscients qui reculent la ligne d’arrivée…Le chemin rentre véritablement à l’intérieur de la végétation, puis c’est une longue descente en sous bois qui dure, qui dure, qui dure. Je suis repassé devant et j’essaye de maintenir une bonne cadence avec en tête le mantra : « plus vite tu cours, plus vite tu seras arrivé ». Physiquement ça fonctionne encore, certes j’ai mal aux cuisses, mais c’est supportable. J’ai retrouvé de l’énergie et de la lucidité (l’énervement contre ceux qui m’ont mis dans cette galère peut être ?) cela me permet d’être attentif à mes appuis et de mes poses de pied. Après chaque virage, je crois sortir de la forêt et enfin découvrir la vallée et le village de Roquebrun mais c’est la déception, systématiquement.
Il faut une série de montées et descentes en sous bois pour finir par arriver sur le sentier en single qui amène à Roquebrun. Je m’y engage, plus vite qu’il ne le faut, mais je n’en peux plus, mentalement j’ai disjoncté. Je grogne, je râle, j’insulte et je cours les yeux rivés sur le bout de mes chaussures, à la fois pour ne pas faire d’erreur et surtout pour ne pas voir la longueur du sentier qui serpente jusqu’au village en bas. J’ai l’impression que ce chemin fait toute la largeur du flanc de la colline, que l’on ne s’approche pas du village en contrebas. Pour une fois, je souhaiterais une bonne descente tout schuss sur la ligne d’arrivée ! Un virage, une ligne droite, un autre virage et ça continue encore et encore… Après avoir serpenté sur un 1 km on retrouve le bitume, on traverse une petite zone résidentielle et on atteint la route ou nous attendent 2 signaleurs. Ils nous indiquent un sentier en face alors que l’arrivée est sur la gauche. Je proteste, c’est de l’acharnement et cela me conforte dans l’idée que nous sommes bien victimes d’un complot. Mais bon, je prends quand même ce chemin caillouteux (jusqu’au bout les gars…), on vire à gauche sur la piste goudronnée et au bout de 400m nous voilà sur l’esplanade ou j’ai retiré mon dossard il y a de cela une éternité. Il est 7h16, nous franchissons la ligne d’arrivée !!!!
Je décrète que je ne ferais pas un mètre de plus, et j’attends sur place que l’on enregistre notre arrivée. Un gars arrive du fond de la place (il est clair que les arrivées se font au compte goutte) avec sa poêle pour prendre notre temps. Il nous félicite, mais je suis toujours en colère et ne lui répond pas vraiment. Il est difficile de vraiment réaliser que c’est terminé. Je n’ai pas franchi la ligne dans un état d’épuisement total comme ce peut être le cas sur des courses courtes et rapides où l’on finit à bout de souffle. Il faut un peu de temps pour que l’organisme et le cerveau s’acclimatent à cette nouvelle donne. On dépose nos sacs, on se dirige vers le ravitaillement, et là on nous propose une bière! Ouhaou ! Une Leffe ! Fini le coca, l’eau gazeuse, plate ou sucrée.
Assis sur un banc on savoure, nous sommes les deux seuls concurrents dans la zone d’arrivée. C’est calme, à l’image finalement de l’ambiance durant toute la course, j’apprécie ce moment paisible. Le contraste est saisissant avec certaines aires de finish de courses avec sono hurlante et agitation fébrile. Le soulagement et la satisfaction prennent peu à peu le dessus sur la tension vécue ces dernières heures. On l’a fait! On est arrivé au bout ! On est finisher de l’Occitane, de la 6666! En buvant notre bière, on plaisante: « on a obtenu les 4 points UTMB, mais au vu de la difficulté de cette épreuve, ils devraient nous donner directement le gilet de finisher … En attendant on nous offre une jolie polaire (les gens de l’UTMB devraient d’ailleurs s’en inspirer…) et en allant récupérer nos affaires on tombe sur Antoine Guillon. Quelle agréable surprise de pouvoir saluer le grand champion et organisateur de l’épreuve. Là encore c’est la preuve que le raid Occitan est une course avec un esprit et une philosophie différents, c’est en effet la première fois que le directeur de course vient me féliciter d’en avoir terminé, surtout 15h (et une nuit) après le vainqueur. Ma colère est retombée et mon envie de le crucifier a disparu, ce qui ne m’empêche pas de lui faire remarquer qu’avec des passages aussi difficiles dans la dernière partie de son épreuve il y a de quoi vous dégoutter de toute envie de revenir. Il est bien conscient du problème car quasiment tous les coureurs ont râlé sur le passage en question, mais il a voulu tenter le coup et puis il fallait éviter le vautour… Quand au final technique et éprouvant, il nous explique qu’il ne veut pas des chemins interminables et sans intérêt comme à Chamonix…
Compréhensif (c’est plus facile maintenant qu’on est arrivé) on le quitte, moi pour rejoindre la tente ou m’attend le repas d’après course et Laurent qui retrouvent ses amis qui en terminent à leur tour. Après un morceau de poulet avec du riz, accompagné d’un verre de vin (terminé la flotte) en compagnie de Gérald et de quelques coureurs arrivés plus tôt, je retraverse une dernière fois le pont de Roquebrun, direction le camping. Ma Quechua m’attend, je me déshabille avec difficultés et m’écroule sur mon duvet. Je suis réveillé vers 10h par la sono de la course, c’est la remise des prix. Je sors comme un zombie de la tente, mon colocataire est en train de plier ses affaires, il rentre chez lui en finisher du Grand Raid (149 km). Je retourne dans la tente et replonge illico dans un sommeil agité. 2h plus tard, me voilà de nouveau réveillé, avec l’impression d’une gueule de bois carabinée et d’avoir fait une bringue d’enfer durant 3 nuits. Plutôt que d’essayer de me rendormir, je décide de m’en aller et je fourre la Quechua (non repliée) et mes affaires tout en vrac dans le coffre de la voiture. Un gars me demande si je peux l’emmener à la gare de Béziers? Pas de problème! Après l’avoir déposé (on n’a pas dit un mot quasiment durant le trajet) direction la maison, ma douche, mon lit.
Voilà l’histoire de cette course, qui restera gravée dans ma mémoire pour tout ce qu’elle m’a apportée comme émotions, sensations, rencontres, moments intenses partagés ou non. Aujourd’hui, près d’1 mois après je pense avoir plus ou moins récupéré physiquement, je ne ressens plus cet état d’épuisement et ma cheville a repris une allure normale. J’ai même accroché un nouveau dossard lors des Etoiles de Gimel (sur le 12 Km). D’avoir terminé dans les délais mon 1er ultra (au delà des 100 Km), considéré comme l’un des plus durs en France, me conforte sur ma capacité à participer à d’autres défis. Plus long ? Plus difficile ? Différent?Aujourd’hui je ne sais pas si j’ai la tête (et les jambes) prête à suivre pour de nouvelles aventures de ce type. Je suis inscrit à l’UT4M (au départ sur le 160 km, j’ai basculé sur le 90) une épreuve qui se déroule dans les 4 massifs autour de Grenoble) le 25 Août. D’autres aventures plus lointaines comme la 180 (ex LyonSaintélyon) et ses 150 km début décembre ou le Treg en Février 2014 avec 170 km dans le désert de l’Ennedi au Tchad me font plus rêver…
Classement final: 122 ème en 31h16’24
A suivre: le débrief technique avec en bonus 2 tests, les Hoka Rapa Nui et le sac Salomon Skin Pro 14+3.
Frank