Chapitre 8
Hors de question de subir la montée, sinon cela va être un calvaire. Je me lance dans l’ascension les yeux rivés sur le bout de mes chaussures, les mains sur les cuisses. Inspiration, expiration, je n’ai pas les bâtons mais j’adopte la même gestuelle et technique que pour grimper en montagne. J’oublie l’environnement, je n’écoute pas les douleurs, je suis concentré sur une seule chose, avancer, un pas après l’autre en maintenant la cadence. Quand je sens que la pente s’adoucit, je lève les yeux et aperçoit un panneau «Stop»à une trentaine de mètres, voilà mon objectif.
Il y a de la satisfaction quand j’atteins le panneau, certes j’ai le souffle un peu court, mais je ne suis pas explosé et n’ai pas les cuisses tétanisées par l’effort. Mes partenaires arrivent tranquillement, j’en profite pour les filmer, désormais il n’y a plus qu’à se laisser glisser jusqu’à l’arrivée. Arthur prend la direction des opérations, je me cale en queue de notre petit groupe afin de récupérer. Je reconnais plus ou moins les passages que l’on a empruntés hier matin. Ceci dit l’heure n’est pas au tourisme, mais plutôt à ne pas être décroché.
On traverse un square, puis c’est un enchaînement de rues. on découvre le panneau des 5 Km. Quoi? Encore 5 Km??!!! Le manque de lucidité commence à se faire sentir, la perception du temps et de la distance parcourue deviennent très aléatoire. C’est un phénomène récurrent sur la fin des Ultras, les centaines de mètres qui durent des kilomètres, les minutes 100 secondes… Mais quand est ce que l’on va atteindre cette descente du Grapillon, la dernière difficulté?
Voilà enfin les escaliers, pas le temps de profiter de le vue, on se lance dans la descente. Même stratégie que pour la montée de l’aqueduc, ne pas réfléchir, on verra une fois en bas. C’est parti, marche après marche à bonne allure, sans temps mort. J’utilise la balustrade pour l’équilibre, appui sur les talons et les Hoka font le reste. Quelle bénédiction ces chaussures, je ne ressens quasiment pas l’impact et je dévale les escaliers à un rythme qui me surprend. Je suis concentré à bloc, les yeux rivés sur mes pieds afin de ne pas rater une marche. Je distingue du coin de l’œil quelques coureurs qui descendent en crabe, visiblement ils souffrent le martyr. Le doliprane doit faire effet car malgré la douleur dans les genoux je garde la cadence et je prends même du plaisir.
Au pied de ces quelques centaines de marches, je retrouve Arthur. Direction le quai de Saône, on croise le panneau 3 Km avant de s’engager sur le pont de la Mulatière. J’envoie un SMS à Théo pour le prévenir de notre arrivée dans 3 Km… En compagnie de Patricia, je fais l’effort afin de recoller avec Arthur et Nicolas qui sont 10 m devant nous. On s’engage sur le pont Pasteur, on croise pas mal de promeneurs indifférents à notre passage, puis c’est la rive droite et le panneau des 2 Km. Théo est là, il nous attend avant l’entrée dans le parc de Gerland. Je suis content de le retrouver. On ne s’est plus croisé depuis Ste Catherine hier après midi (il y a déjà 24h, c’était dans une autre vie).Il y a un peu de fierté de ma part, à lui montrer à ce jeune sportif, ce que son vieux père peut encore réaliser. Il fait quelques images, me pose 2/3 questions, malgré la fatigue, l’émotion, j’essaye de répondre intelligemment.
Arthur accélère alors que nous pénétrons dans le parc, pas question de terminer au ralenti. Le plaisir illumine le visage de mes compagnons. Sans avoir besoin de l’exprimer chacun de nous est conscient de la valeur de ces moments que l’on partage ensemble. On l’a fait! Mon téléphone n‘arrête pas de bipper, les amis, la famille, tous m’envoient des messages de félicitations. Le panneau du dernier kilomètre! Cela signifie 149 Km de parcourus! Difficile de réaliser dans l’instant.Toutes ces émotions, ces sensations me dépassent, c’est vraiment un moment très fort. Mes jambes ne veulent plus avancer, mais l’adrénaline me pousse à courir encore plus vite. On double quelques concurrents à la peine, le contraste avec nous 4 est saisissant, on transpire la joie et la satisfaction. L’intensité des émotions nous procure une telle énergie qu’il nous semble qu’on vole jusque à la ligne d’arrivée.
La longue ligne droite, le panneau des 150m, un virage à gauche, au bout c’est l’arche d’arrivée. 75, 50, 25, 10m, nous finissons main dans la main. Il est 13h35 nous avons terminé la 180.
Avant de franchir la ligne, Biscotte (le compère d’Arthur du LUT) et le père de Jean François nous remettent les maillots de finishers.Théo et l’équipe de Tout le Sport de France 3 sont là, c’’est incroyable cet accueil. On franchit la ligne d’arrivée de la 180 avec le maillot de finishers sur le dos, c’est magique! Les sentiments se bousculent, on a démarré cette aventure et on est allé au bout, ensemble! Ils nous restent quelques mètres pour rejoindre l’arrivée officielle à l’intérieur du Palais des Sports. Nous les effectuons, main dans la main sous les applaudissements des spectateurs derrière les barrières.
C’est sous l’ ovation des quelques 100000 spectateurs encore présent (j’exagère juste un peu) que nous pénétrons dans le Palais des Sports. Waouh!!! C’est énorme, je n’aurais jamais imaginé une aussi belle arrivée. Finisher de la 180, en compagnie d’Arthur Baldur, emblème de cette épreuve, de Patricia, de Nicolas et accueilli au micro, comme des vainqueurs, par Michel Sorine, grand maître de la Saintélyon. Là, j’avoue que j’ai un peu la gorge nouée, les yeux humides.
Je n’arrive pas à quitter l’aire d’arrivée, des concurrents de la Saintélyon qui en terminent nous félicitent, des spectateurs nous regardent d’un air un peu incrédule. Je finis par me diriger vers un stand ou je récupère le maillot de finisher de la Saintélyon, que je range illico dans mon sac. Il a beaucoup de valeur, mais en comparaison avec celui que j’ai sur le dos il n’y pas photo. Je retrouve Jean François, Nico, Patricia, il y a également Reynald, Gilles, Thierry, Anthony, Fred, finishers aussi, dont certains en 10h, magnifique performance!
Une photo de groupe ou j’oublie les douleurs pour prendre la pose.Il est difficile de se séparer, ces moments partagés, autant dans l’effort physique que dans les échanges humains, ont créé un lien qu’il est difficile de briser. Un instant aussi fort que cette arrivée, à l’issue d’une telle aventure restera un souvenir inoubliable. En sortant de l’aire d’arrivée pour aller récupérer mon sac, j’ai l’impression étrange d’être suivi du regard. Un jeune gars m’interpelle, me demande comment il est possible de réussir une telle « performance » (surtout pour un vieux comme moi, doit il penser)? Pas vraiment prêt pour une analyse à froid, je lui réponds: » Ben, il suffit d’y croire, si on a déjà fait la partie aller, il suffit d’ enchaîner avec le retour ». Finalement, je délaisse les nouilles chinoises du repas d’après course (je pensais à quelque chose de plus consistant …) pour retourner saluer mes compagnons avant de rentrer. Cela me fait bizarre de leur dire au revoir, depuis plus de 30 heures nous avons tout partagé et maintenant chacun repart de son côté.
Après un passage au Mac Do (plus en adéquation avec nos envies gustatives) , nous voilà avec Théo de retour sur l’autoroute en direction de Saint Etienne. C’est une autre épreuve qui nous attend, je n’ai pas eu d’envie de dormir durant cette nuit, mais cela me tombe dessus et je n’arrive pas à garder les yeux ouverts. Théo est épuisé lui aussi, il n’a pas couru mais il bosse depuis 30h non stop , il va malgré tout nous ramener à bon port dans un dernier effort. C’est en repassant devant la raffinerie de Feyzin que je prends conscience que depuis notre passage ici, hier matin, j’ai fait l’aller retour Lyon- Saint Etienne à pied, la boucle est bouclée.
A suivre, un petit debrief technique.