Dimanche 28 Aout 2015/18h02/Place du Triangle de l’amitié/ Chamonix.
Difficile de ne pas verser une larme! Mon téléphone n’a pas arrêté de vibrer, mes enfants, les amis, tous me témoignent via leurs messages, leurs encouragements, leur soutien. Avec la musique et la tension dégagée par les 2300 coureurs qui se pressent vers l’arche de départ, j’ai les yeux humides. Des personnalités aussi diverses que Yohann Métay (le dossard 512) ou Edouard Balladur (ex premier ministre) sont aux balcons pour assister au départ de l’UTMB. J’ai réussi à me glisser avec Jérome dans les tout premiers, ce qui me permet, une fois passé l’arche, de traverser Chamonix au petit trot dans cette ambiance fabuleuse offerte par les spectateurs. Même si vous n’avez pas les capacités ou la motivation pour réussir l’UTMB, essayez d’obtenir les points nécessaires et tentez votre chance à l’inscription, rien que pour vivre cette émotion fantastique que l’on ressent en tant que coureur, lors du départ de l’Ultra Trail du Mont Blanc.
Les Houches, Le Delevret, la descente sur St Gervais se déroulent sans particularité. Hormis un petit coup de stress pour un des bâtons qui ne veut pas se serrer, j’arrive à rester en mode économique, tout en maintenant le rythme et je suis dans les clous de ma feuille de route à Saint Gervais (arrivée 21h18 pour 21h30 envisagée et une BH à 22h00). La longue montée sur les Contamines n’est pas particulièrement difficile, mais j’ai du mal à me concentrer. Je ne me sens pas vraiment dans la course. Je suis obligé de me rappeler à l’ordre sur l’objectif immédiat à venir: Les Contamines dans quelques Km. Des pensées négatives comme : » il reste plus de 40h de course, ce n’est que la 1ère moitié de la 1ère nuit, encore plus de 140 Km. »ont tendance à s’incruster. Je me surprend même à ressentir de l’ennui. Pour me motiver, je me rappelle avec le sourire le passage ou Yohann Métay dans son spectacle « la Tragédie du Dossard 512″, trottine sur scène durant de longues minutes les yeux dans le vague en silence, pour finalement conclure: » on s’emmerde pas mal sur l’UTMB »! Je finis par arriver aux Contamines, toujours dans les temps (23h16 pour 23h30 estimé et une BH à 00h00). Je suis mon protocole du ravitaillement, je change de maillot pour un modèle chaud et manches longues, j’enfile ma veste et je repars. Un peu plus long que les 10′ prévues, mais j’ai de l’avance, donc pas de stress et tout va bien au niveau physique.
J’ai branché la musique, avec les bâtons je grimpe à un bon rythme, direction la Balme. Ca y’est je suis rentré dans la course! Il m’aura fallu près de 6h00! Les conditions météo sont fantastiques, il ne fait pas froid, pas d’humidité, terrain sec à part quelques petits passages légèrement boueux. Avec la pleine lune et la densité des coureurs au mètre carré je coupe fréquemment ma lampe afin d’économiser la batterie pour plus tard. La Balme (1H21 pour 1H20!BH:02h00): pas de marge supplémentaire, mais parfaitement dans l’estimation. Serein, je me ravitaille, j’enfourne quelques gâteaux et du chocolat dans le sac et je quitte le poste. Désormais je suis en mode découverte du parcours (en 2012, on retournait aux Contamines) et je me lance à l’assaut du Col du Bonhomme. Je cherche toujours à progresser en étant le plus économique possible, sans jamais forcer la cadence ni chercher à dépasser à toute force un concurrent plus lent. Le spectacle des frontales au dessus et en dessous (ça rassure je ne suis pas le dernier) de moi est assez féérique. Je profite de ces instants magiques, en me répétant la chance que j’ai de pouvoir vivre de tels moments. Je suis dans ma bulle, tout va bien malgré quelques petites douleurs gastriques que je calme en mangeant des biscuits. Il est toujours difficile sur les ultras, surtout de nuit, de toujours bien respecter une alimentation et une hydratation régulière d’ou l’intérêt d’avoir quelques petits plaisirs alimentaires sous la main. Il est 3h12 quand j’atteins la Croix de Bonhomme (pour 3h05 envisagé), un poil en retard, mais rien d’inquiétant et je m’élance, après un verre d’eau gazeuse, dans la descente pour les Chapieux.
Les Chapieux, ce sera l’arrivée de la 1ère course (j’ai divisé l’UTMB en 4 épreuves). C’est aussi la 2 ème grosse descente, plus de 5 Km avec des passages assez techniques. Je me force à rester souple, décontracté et d’économiser au maximum les cuisses en me servant des bâtons pour amortir les chocs et de rester sur la pointe des pieds. Je commence à ressentir un peu de fatigue et de lassitude (3/4h00 du matin reste toujours une période compliquée ou le besoin sommeil se fait sentir), mais je sais qu’aux Chapieux je vais pouvoir profiter d’un vrai moment de repos avec 40′ de pause et ça me pousse à maintenir le rythme. J’y suis à 4h09 pour 4h10 prévu! Si ce n’est pas de la précision ça! Après avoir rempli mes bidons, un peu brassé dans le ravito pour trouver une place assise, avalé avec plus ou moins de plaisir une soupe aux haricots et terminé ce « petit dej » par un dessert à base de thé/chocolat/ biscuit je constate qu’il ne reste que 15′ avant l’heure annoncée du départ ( 4h50 et une BH à 5h15). Trop court pour une vraie sieste sur une couchette, je décide donc d’en faire une micro de 5′, assis la tête sur la table. Aussitôt dit, aussitôt fait et à 4h42 (soit 8mn plus tôt que prévu) je sors des Chapieux, cap sur Courmayeur, la 2 ème étape.
Dans l’immédiat, l’objectif c’est le col de Seigne. On commence par une longue section de route plus ou moins montante. Je reste dans le noir et j’en profite pour lire les nombreux messages reçus sur mon téléphone. C’est un véritable bonheur de savoir tous ces gens, certains encore éveillés à 2h00 du matin, qui suivent ma route et me prodiguent leurs encouragements. Je voudrais pouvoir leur répondre, mais je sais que je vais fusiller la batterie du téléphone et je me promets de le faire à l’arrivée. Je me permet juste un petit texto pour mes 2 amis Francis et Nicolas qui sont arrivés à Chamonix et qui doivent dormir en attendant que l’on se retrouvent à Courmayeur. Musique, les bâtons qui claquent sur le bitume, j’avance d’un bon pas. J’ai estimé 3h00 depuis les Chapieux et alors que l’aube commence à chasser la nuit je découvre un panneau, à l’attention des randonneurs, qui annonce 1h45. Coup d’oeil à ma montre, il est 5h45. Un rapide calcul (mais oui, malgré les 12h00 de course et plus de 50 Km dans la haute montagne, j’arrive à faire du calcul mental) en tenant compte que je dois être un poil plus rapide qu’un randonneur « moyen », m’annonce que je devrais atteindre le col vers 7h15 soit près de 25′ avant l’estimation. Cool! D’autant plus que le jour se levant, les jambes répondant bien, ne ressentant pas de douleurs, le moralomètre est au top. Mais méfiance, dans l’ultra il faut savoir se modérer durant les périodes euphoriques comme il faut savoir s’accrocher quand on est dans le trou. Ceci étant, mon calcul est bon car à 7h10 (30′ avant le plan de route) je franchis le col, ce que je fête en m’envoyant directement au goulot une rasade de coca dont la bouteille passe de bouche en bouche.
Je démarre la descente sur le Lac Combal, gonflé à bloc. Je vais pouvoir gérer tranquillement les 6Km qui reste avant le ravito et une fois là bas, faire une petite pause avant la dernière partie qui amène à Courmayeur. Un peu plus bas, je profite durant 5 mn d’un banc, face au panorama somptueux, un verre d’eau gazeuse à la main, elle est pas belle la vie! Une bénévole annonce 2 km de montée et 2 km de descente avant le Lac Combal. C’est la fameuse boucle qui a été rajoutée pour faire 170 km (au lieu de 166) et 10000m de D+au lieu de (9600). Bon, on est vraiment bien ici, mais si l’on veut garder l’avance obtenue, il faut prendre du soucis (expression typiquement stéphanoise). Je ne le sais pas encore , mais c’est là que ma course va basculer. Assez rapidement, le chemin se transforme en un champ de pierres. Pierres qui deviennent de plus en plus importantes et volumineuses, nous voilà à progresser dans un véritable pierrier. Puis on se met à grimper, je suis parfois obligé de mettre les mains pour avancer. Je comprends que nous allons faire les 2 Km de montée dans ces conditions et qu’au delà de la lenteur de la progression, le plus préoccupant c’est l’accumulation de fatigue et de tension, due à la concentration, afin de ne pas laisser une cheville coincée entre 2 pierres. Il me faut près d’1h00 pour arriver au sommet ou l’on bascule directement dans la descente. Il est 8h30! J’ai perdu mes 30 mn d’avance et je dois être dans 15′ au Lac Combal selon mon road book! Je m’élance en priant tous les dieux de l’univers que ce soit roulant. Mais les dieux ne m’ont pas entendu et c’est le même pierrier (merdier) que pour la montée, mais en descente!!! L’horreur! Impossible de se lacher dans un champ de pierre comme celui ci, sans risquer de se faire une entorse (dans le meilleur des cas) au moindre mauvais appui. C’est donc pas à pas que j’avance. La descente est interminable (j’ai de gros doutes quand à sa distance de 2 Km…), je croise 2 gars allongés au milieu des rochers, téléphone en main appelant les secours, les cuisses me brulent, les mollets tirent, les chevillent se tordent. Tout en essayant de garder le maximum de concentration pour ne pas faire l’erreur fatale, je ne cesse de penser au temps qui défile (je ne prends pas le risque de regarder ma montre). On finit par en sortir du pierrier à 500m environ du ravito et on retrouve un vrai chemin. Malgré les cuisses en feu j’essaye de courir pour arriver au poste le plus rapidement possible.
Samedi 29 Aout 2015/ 9h01/15H01 de course/ Lac Combal/Km 66,7.
A mon arrivée, je n’ai plus que (ou encore) 29′ d’avance sur la barrière horaire. C’est un peu la panique au ravito car tous les coureurs arrivent en hurlant leur (Oh)rage et leur (Oh)désespoir. On nous répond : » il faudra en parler sur les forums ». Oui peut être, mais il aurait surtout fallu tenir compte de la difficulté de ce passage supplémentaire pour rallonger les BH ici et à Courmayeur, alors que seulement 30′ ont été rajouté au final à Chamonix (ce qui a été mon estimation, à priori logique, du temps nécessaire pour parcourir cette partie). A la lecture des résultats, les meilleurs auront mis près d’1h00 (en pleine nuit…). Ceci étant, je n’ai pas le temps ni l’envie de polémiquer et après avoir bu un coca et récupéré une banane je repars illico du ravito. J’ai 25′ d’avance sur la barrière horaire, alors que 5Km auparavant et 2H00 plus tôt je capitalisais sur plus d’1h00 après la pause du Lac Combal. Mais le plus grave, c’est que je me sens détruit physiquement (la descente dans le pierrier m’a fusillé les cuisses et j’ai les chevilles très douloureuses) et moralement (toute ma stratégie de course s’appuyait sur une course à l’économie avec l’idée d’arriver « frais à Courmayeur). J’essaye de trottiner sur la piste qui borde le lac, mais je me sens vidé, sans énergie, sans volonté. Quoi qu’il en soit pas question de lâcher. Autre souci, je n’ai plus de téléphone. Depuis que l’on est en Italie, plus de réseau, je ne reçois plus de messages (c’est maintenant que j’en aurais le plus besoin) et je ne peux pas communiquer avec Nicolas et Francis pour organiser mon arrivée et l’assistance à Courmayeur. C’est dans cet état physique et d’esprit que j’attaque la montée à l’Arête Fabre. Même si le paysage est magnifique, surtout avec ce soleil et un ciel bleu de cinéma, cela va se révéler un vrai chemin de croix avec la chaleur qui s’installe, la difficulté technique de certains passages, les jambes qui ne répondent plus et l’impossibilité de courir quand le terrain s’aplani. Je parviens malgré tout au passage à 10h20, soit simplement 5′ après mon estimation de mon road book. Je ne m’attarde pas à faire des photos comme certains concurrents et me lance dans la descente sur Courmayeur avec comme objectif le Col de Chécrouit. J’y suis avec 10′ de retard sur le plan de route, mais je prends le temps quand même de déguster un plat de pâtes (alors qu’il n’était prévu qu’un ravito liquide, mais pour les Italiens, la pasta c’est une évidence lors d’un ravitaillement). Je repars en me disant que si je descends bien , je peux espérer arriver avec 1h00 d’avance sur la BH à Courmayeur, prendre mes 40′ de pause prévues et attaquer la suite avec un petit matelas…
Je descend en compagnie d’un autre gars, le chemin est assez technique avec des passages caillouteux et pas mal de racines. Je souffre physiquement, notamment les cuisses, je suis tendu et un peu stressé ce qui me provoque des douleurs dans les épaules au niveau des courroies du sac. Sur un passage, j’essaye de prendre au plus court, je glisse et me paye une belle gamelle. Pas de bobos, mais ça n’arrange pas mon état surtout au niveau du moral. On rencontre des signaleurs qui nous indiquent l’arrivée, selon les cas entre 1,7 Km et 800m… On finit par retrouver le bitume ou je m’essaye très difficilement à trottiner. Il est 12h10 quand je vois Nicolas qui vient à ma rencontre, je souris pour la photo mais c’est vraiment pour la facade. Il me reste 50′ avant de devoir quitter la base de Courmayeur. Restons positif, j’ai prévu 40′ donc ça devrait le faire. 5 bonnes minutes à récupérer mon sac d’allègement et rejoindre la salle ou l’on peut être accompagné de son assistant. 10 minutes pour me changer complètement, me faire un petit massage des cuisses douloureuses, un coup de NOK, refaire mon sac en compagnie de Francis et je monte dans la salle pour manger. Tendu, je ne trouve pas la table ou l’on sert le plat chaud, il y a pas mal de monde et l’endroit ne respire ni la détente, ni la sérénité. Une fois servi, je m’assied et mange sans trop d’appétit les pâtes (celles que j’ai mangés au Col de Chécrouit étaient meilleures et dans un environnement beaucoup plus agréable) face à un concurrent, qui dort le nez dans son assiette… Il me semble voir passer Cecile Bertin, qui pourtant jeudi soir m’avait dit qu’elle ne participait pas à la course. C’est un peu tôt pour les hallucinations? Un gars annonce dans la sono qu’il reste 15 ‘ (et pas une de plus, précise t’il) avant la fermeture du poste. Pour la sieste de 20’ , il faudra que je repasse…. J’enfourne une compote et un morceau de pain dans le sac et sort de la salle (déjà ne plus avoir le stress de la BH) afin de retrouver Francis et Nicolas et de profiter d’une petite pause, au soleil avant d’attaquer Bertone.
Une fois dehors, je ne trouve pas mes amis, je commence à avancer, reviens sur mes pas ( je suis fou, je me rallonge la distance), je croise Phil qui croit que j’abandonne… Impossible de les retrouver, je décide de reprendre la course malgré que l’on ne se soit pas calé ( je n’ai toujours pas de téléphone), de toute façon ils ont mes temps de passage par SMS et on se retrouvera à Champex. Au bout de 200m, je me rends compte que je n’ai pas rempli mes bidons!! Un petit détour, passage sous l’office de tourisme pour faire le plein d’eau, puis un petit stop sur un banc pour manger ma compote et mon bout de pain et me voilà enfin en route pour Bertone. Je ne suis pas serein, le ravito à Courmayeur n’a pas été reposant et malgré que je me sois changé du tout au tout (des sous vêtements aux chaussures) je n’ai pas du tout l’impression de repartir à neuf comme cela devait être le cas. Un nouvel arrêt auprès d’une fontaine ou je trempe ma casquette et mon buff car le soleil tape fort. J’attaque la montée en compagnie d’un Italien qui baragouine un peu de Français, j’espère me refaire une santé dans cette montée. On croise des grappes de concurrents qui redescendent sur Courmayeur. Pas de quoi se remonter le moral, ce sont tous ceux qui ont abandonnés, soit à Bertone, soit dans la montée… L’Italien me lache dès que l’on aborde le sentier en lacet, il est vrai que je n’avance pas. Je suis écrasé par la chaleur et chaque pas est un effort surhumain. Je me fais doubler par des concurrents qui me semblent avancer au ralenti, ce qui donne une idée de ma propre vitesse de progression. Ici et là, dans les virages des lacets, des concurrents sont assis, les yeux fermés, le visage cramoisi. Je résiste à l’envie de faire pareil, de m’arrêter, de stopper ce calvaire. Je découvre de nouveau Cecile Bertin (ce n’était donc pas une hallucination) assise sur le côté du chemin, qui téléphone pour qu’on vienne la récupérer. Je la regarde d’un air ahuri, sans mêle la saluer. Plus loin il me semble que je viens de me faire dépasser par Fred, un pote de la 180, mais vu mon état je ne suis sur de rien. Je finis par craquer et m’assois sur un tronc d’arbre, je ferme les yeux et les rouvre aussitôt car j’ai peu de sombrer dans le sommeil. Je repars, je bois tous les 20mètres, mes bidons se vident et toujours cette montée remplie de racines, de cailloux qui n’en finit pas. Je suis persuadé que sous peu , je vais m’arrêter pour que cesse ce cauchemar ou faire demi tour et suivre un des coureurs qui redescend sur Courmayeur.
15h00, comme dans un mirage, je sors de la forêt et découvre le chalet du refuge Bertone. Encore quelques efforts et je m’écroule dans l’herbe devant le refuge. C’est un peu la cour des miracles ici, entre ceux qui visiblement ne vont pas aller plus loin et profitent de l’ombre allongé dans l’herbe et ceux qui prennent des mini douches sous la fontaine. Je vois même un concurrent (il a un dossard) qui fume une cigarette!!!! Tout le monde à le regard hagard, je ne dois pas donner ma part au chien. Si je veux repartir dans le bon sens (celui qui va à Bonatti) j’ai intérêt à ne pas moisir ici. Je passe la tête sous l’eau, remplit un bidon d’eau gazeuse et je prends la direction de la montée… pour Bonatti. Pas de BH ici, mais je suis déjà en dehors de la limite extrême de mon plan de route (15h10 pour 15H00), j’ai mis 2h00 pour parcourir Courmayeur-Bertone, alors qu’en moyenne (un randonneur) on compte sur 1h30… Le chemin est vallonné et parfois plat voir même descendant, mais il m’est impossible de trottiner, je ne peux que marcher et encore à une allure d’escargot. J’ai l’impression d’être vidé de toute énergie, de toutes mes forces. Mes cuisses sont très douloureuses, mais si je marche lentement je peux encore avancer. Je décide de remettre la musique, mais après m’être débattu avec les fils des écouteurs, je me rends compte que la batterie de l’Ipod est vide! Lui aussi n’a plus d’énergie. Pas de téléphone, pas de musique, une allure de limace, la chaleur, je commence à m’endormir. J’essaye de me secouer, de profiter du paysage magnifique, de me motiver en me répétant la chance que j’ai d’être là, de me persuader qu’après une période d’agonie suit une période d’euphorie. Des concurrent(e)s me doublent, parmi eux Phil (je l’imaginais loin devant) qui semble remonté comme une pendule, il m’annonce qu’il va passer la BH d’Arnuva et qu’il va terminer! Arnuva, c’est aussi mon objectif. La BH est à 18h15, ce qui me laisse 2h00 environ pour l’atteindre (je ne sais pas trop à combien je suis de Bonatti), ce qui est envisageable. Les pensées négatives commencent à m’envahir, il me reste une fin de journée, la 2 ème nuit et encore une journée à marcher (vu qu’il me semble impossible que je puisse recourir). Je n’ai pas de téléphone (plus de messages depuis cette nuit et pas de contact avec mon assistance) plus de musique et le temps qui se couvre… Pourquoi devrais je continuer? Une polaire? Que je ne porterais jamais? L’émotion de terminer et de franchir l’arche d’arrivée à Chamonix! Ah ça, Oui! Alors, avance et si tu dois arrêter, la décision ne viendra pas de toi.
16h56, j’arrive enfin à Bonatti après m’être un peu pris la tête avec des coureurs Chinois qui arrivaient derrière moi : »Sorry! Excuse me (on est sur un chemin en single) « et qui 100m plus loin étaient allongés sur le bord du chemin en train de dormir! Au bout de la 5 ème fois de ce manège, j’avoue avoir eu quelques envies meurtrières. La personne du ravito m’explique illico la problématique: » Si vous voulez passez à Arnuva, il faut partir de suite »! Bon et bien au moins c’est clair. Je bois un coup de Coca, remplit d’eau un des bidons et je repars toujours en mode marche lente. Parfois je distingue au loin des coureurs, vu la distance qui nous sépare, je me dis qu’il va me falloir des heures pour arriver à Arnuva. Des coureurs me doublent en passant comme des bombes, leur détermination et surtout leur allure ne sont pas fait pour me rassurer sur ma probabilité d’atteindre Arnuva dans les temps. Je rejoins 2 coureurs allemands (c’est vous dire s’il sont lents) qui bavardent. Avec leur maigre Français (fallait pas compter sur mon Allemand inexistant) je comprends que c’est mort pour Arnuva et qu’ils ont décidé de finir en mode promenade (ce qui m’informe sur sur ma vitesse de marche, je suis donc en mode « promenade »). Un peu plus loin, un Australien, au moins V3 déboule et demande ce qu’il reste pour Arnuva? Les Allemands lui explique que c’est cuit, soulagé(?) il s’arrête sur le bord pour reprendre son souffle. On arrive dans la descente sur Arnuva, on se fait prendre en photo avant d’arriver au poste et à 18h28 on passe la ligne. C’est terminé! A cet instant, de l’autre côté de la barrière, un concurrent s’élance, direction le col Ferret, il nous annonce qu’il ne passera probablement pas la BH de La Fouly. Je traverse au pas de course (cela reste une forme d’expression) la tente et me dirige direct vers les navettes. A peine installé dans le bus, les conversation démarrent et tout le monde n’a qu’un seul sujet à la bouche: le passage du pierrier! Je vois que ma frustration et ma « colère » sont partagées par nombre de coureurs, ce qui n’atténue pas ma déception, mais au moins pas de regrets, je suis allé au bout de mes possibilités.
A suivre: Chronique du Mont Blanc #8: Quels enseignements à tirer de ce bout d’UTMB et Chronique du Mont Blanc#9: Mon UTMB avec le sac Raidlight Ultra Olmo 8l
Frank