Chapitre 7
Un frisson me parcourt tout le corps lorsque je sors de la tente du ravito de Ste Catherine. Il est du autant au froid, qu’au souvenir de mon arrêt ici même l’année dernière, qui a été ravivé par la vision d’un petit groupe de coureurs, emmitouflé dans des couvertures de survie, attendant le bus. Après la traversée du village, c’est la remontée sur la route et la grimpette au dessus du village de Riverie. Des plaques de glace sont présentes, j’utilise la frontale Ferei à pleine puissance, pour les débusquer. Cette lampe est vraiment top, car au delà de sa puissance étonnante pour sa légèreté, elle possède un faisceau lumineux qui ne laisse pas de zones d’ombres. Cela offre une diffusion relativement large et évite l’effet tunnel qui m’a laissé des souvenirs un peu flippant sur certaines courses nocturnes.
Je continue mon chemin, en fin de peloton la densité de coureurs est faible, ce qui évite les embouteillages, souvent présents lors de la saintélyon. Je peux progresser à un rythme que j’essaye d’être le plus économique possible car je commence à sentir quelques tiraillements au niveau des ménisques. On retrouve la route au hameau de Brûle Fer, puis c’est la traversée de la Bullière, avant la descente du Bois d’Arfeuille. Mauvaise surprise, c’est boueux et verglacé! Je commençais à regretter de n’avoir pas remis les chaines, là, j’hésite vraiment, et puis finalement je me lance. Les Hoka, plutôt savonnettes dans ce genre de conditions, s’en sortent plutôt pas mal. Je double même un concurrent et réalise qu’il s’agit de Patricia! Elle est en compagnie de Nicolas et ne semble pas au mieux. Elle vient de chuter et termine cette descente prudemment. Je suis content de retrouver des «180», ça va être l’occasion de prolonger notre aventure et de partager des moments ensemble.
La remontée du Bois d’Arfeuille regroupe les coureurs, ça bouchonne un peu, on patauge dans la boue, mais ici pas de trace de verglas. J’ai droit à quelques remarques sur la puissance de ma lampe, je fais même un petit argumentaire auprès d’un gars, qui pleure sa misère, avec sa bougie. Mes genoux me laissent en paix dans les montées, j’en profite pour dépasser quelques concurrents, Nico et Patricia suivent toujours. On sort du bois d’Arfeuille, maintenant c’est 1,5 Km de route, pour rejoindre St André la Cote.
Dans le village, on fait un petit stop au niveau de la croix, les premières lueurs de l’aube commencent à éclairer la chaine des Alpes. On remet les chaînes, beaucoup de passages ou l’on est passé sans encombres hier, risquent d’être gelées. Durant la descente à travers la forêt pour rejoindre St Genoux, les douleurs dans les genoux deviennent très pénible, j’essaye au mieux de prendre mes appuis sur les talons pour les soulager. On arrive au ravito de St Genou, il est 7h45, 114 Km effectués, le jour est maintenant levé. P.E m’envoie un SMS et m’apprend que j’ai remonté 353 concurrents depuis Ste Catherine!! Très bien, mais il faut relativiser, je suis 5274 ème au classement, ceci étant c’est toujours bon pour le moral. Thé, madeleines, Coca et un Doliprane, car j’ai peur de ne pouvoir continuer si je ne prends pas d’anti douleur. Pour le reste, tout va bien, que ce soit les pieds, les cuisses ou le dos. Pas de problème non plus avec le système digestif. Bon je ne bois pas beaucoup, mais j’ai fait quelques arrêts « techniques », donc la tuyauterie est OK. Question température corporelle, ça va, je n’ai pas froid et je n’éprouve pas le besoin de me changer. On retrouve Arthur et Bernard dans le ravito, le groupe des 180 s’étoffe et l’on repart en leur compagnie, direction Soucieux.
C’est sympa de s’être retrouvé, au delà du plaisir d’être ensemble, cela donne un coup de boost. C’est aussi rassurant sur le fait que je suis dans le rythme, car à priori ce sont tous des coureurs ayant un niveau supérieur au mien. Ceci dit, rapidement je suis décroché, la douleur aux genoux m’oblige à marcher. J’en profite pour faire tourner la Go Pro, je l’ai un peu laissée tomber durant la nuit, malgré la qualité d’éclairage de la Ferei. La belle lumière du matin sur la campagne, le soleil qui se lève, tout cela devrait donner quelques plans, qui j’espère devraient plaire à Théo. Le Doliprane commence à faire effet et je peux m’engager à un bon rythme et sans appréhension dans la descente du bois de la Gorge. Mais c’est en remontant vers le Boulard, que je me prend 2 gamelles successives! Des plaques de verglas sont encore présentes, et c’est après avoir demandé à un gars qui vient de chuter si tout était OK pour lui, que c’est mon tour de m’étaler. Je tombe sur sur les fesses, ce qui amorti la chute. Je repars, fait 10m, avant d’effectuer une nouvelle figure, genre salto non contrôlé, et de nouveau me voilà par terre! Cette fois c’est le bras qui a ramassé. Je suis un peu secoué, mais après une gorgée d’eau, une profonde inspiration, la fulgurante pensée que je devrais peut être remettre les chaines, je relance la machine.
Passé le hameau du Boulard, c’est la descente du bois de la Dame. Je la connais bien cette descente et je la dévale à un bon rythme d’autant que maintenant il fait complètement jour. Au bout de quelques mètres dans la remontée, je reçois un méchant coup de pompe. Plusieurs gars que j’ai doublé dans la descente me reprennent et je n’arrive que difficilement à rester dans leur sillage. Je tente de faire le vide, de me rassurer, en me répétant que c’est la première défaillance depuis le départ, hier matin. Allez, on ne lâche rien, je dois avoir dépassé mon kilomètrage (119), c’est maintenant qu’il faut s’accrocher. J’évacue les pensées négatives comme celle de laisser tomber pour visualiser des images positives. Je sais que c’est typique de l’ultra cette alternance de moments difficiles et euphoriques. Il me faut gérer ce passage en allant chercher au fond de moi des ressources mentales pour oublier cette envie de lâcher. Je me remémorise l’expérience de quelques moments «terribles», notamment la nuit de l’étape longue du MDS ou la descente vers Lamalou lors de la 6666. D’être dans l’introspection ne m’empêche pas d’avancer et je finis par sortir du bois. Au niveau de l’aérodrome j’ai récupéré un peu d’énergie et j’arrive à me remettre au petit trop lors de la traversée de la route. Ca y’est la machine est relancée.
Après la traversée dans la forêt, c’est la ferme du Grand Prost. Il reste le bois du Bouchat, la route jusqu’à Soucieux et une fois arrivé à Soucieux et bien je serais arrivé à Soucieux! Non, ça ne sera pas fini, mais là bas, je ferais le point. Le point de quoi? je ne sais pas, mais c’est toujours bien de se fixer des étapes. J’ai toujours fonctionné comme cela sur les ultras, CP après CP, ravito après ravito, ne jamais globaliser la course, toujours l’appréhender section après section. Une fois sorti du bois du Bouchat, je déroule à une bonne allure vers Soucieux. Après l’agonie de tout à l’heure c’est l’euphorie. Il fait beau, le paysage est superbe, quel plaisir de participer à cette épreuve, c’est avec la banane que j’arrive à Soucieux.
Il est 9h53, j’ai bouclé 130 Km et remonté encore 164 coureurs (toujours PE qui m’informe par SMS). Je retrouve Arthur, Bernard, Nicolas, mais aussi William et Jean Pierre. C’est super, j’étais persuadé que notre aventure commune sur cette aventure avec les compères de la 180 serait terminée à Saint Etienne. Patricia arrive peu après, elle nous fait un petit pétage de plombs et se retrouve en pleurs, allongée par terre. Arthur la prend en charge et lui explique qu’il n’est pas question qu’elle lâche l’affaire . Coca, madeleines, thé, il va falloir se bouger car il est 10h, la barrière horaire à Soucieux est à 11h et si l’on traine un peu trop on va se retrouver hors délai. Tant pis pour le break que je pensais faire ici. Après avoir jeté un oeil sur le trio Arthur, Nico et Patricia encore en conciliabule après son « sketch », je décide de prendre la suite de JP et William qui repartent. Faut pas trop réfléchir et c’est bien connu, plus on s’incruste à un ravito plus il est difficile d’en partir
Nous voilà dans les rues de Soucieux, JP et William sont sur une stratégie de 5 à 6 (comprenez 5 mn à 6 km/h) suivi de 5 mn en marche «rapide». D’après leurs calcul, cela devrait nous amener à l’arrivée vers 13h30. Très rapidement William a du mal à suivre, ils nous propose de le laisser continuer seul, mais c’est hors de question: « Tu vas en chier mon gars, mais on va te trainer jusqu’au bout s’il le faut ». Les douleurs dans les genoux se sont réveillés et je souffre le martyr dans la descente vers le Garon, mais pas question de lâcher. Tour à tour avec JP, nous prenons les relais pour imprimer la cadence et haranguons William pour qu’il ne renonce pas. Remontée du Garon, traversée de Chaponost, les gens qui sortent de chez eux, découvrent tous ces pauvres hères, le regard halluciné, la démarche pas vraiment linéaire qui luttent pour rejoindre le parc de Gerland. Tout le monde ne tient plus qu’au mental, les jambes ne sont plus qu’une mécanique à la merci d’un cerveau qui s’accroche à un leitmotiv: rejoindre le Palais des Sports. Chacun à son mantra pour y arriver, avec JP et William on fait le décompte de la distance, en hurlant à chaque km parcourus, le nombre restant. Peu avant le parc du Boulard, Arthur, Nicolas et Patricia nous rejoignent. Notre regroupement interpelle les autres concurrents. Ils sont effarés quand ils comprennent dans quelle aventure on est engagée. Je m’accroche à la foulée d’Arthur, Nico et Pat. Je regrette d’abandonner William et JP, mais ils semblent vraiment en difficulté.
Arthur donne le rythme et l’on dévale la descente de Chaponost. Je serre les dents, la douleur dans les genoux est terrible mais il n’est pas question que je sois lâché. En restant à leur contact, je suis sur que l’on arrivera dans les délais. Il y a aussi un sentiment de fierté de pouvoir arriver en leur compagnie, notamment Arthur grand maitre de cette 180. Les sensations se bousculent, la souffrance physique se mêle à la joie de savoir que je vais terminer et au plaisir de partager ces derniers kilomètres avec mes trois partenaires. Nous sommes à Beaunant, un panneau annonce le ravito à 500 m alors qu’il se trouve à 50 (pour une fois que c’est dans ce sens…). C’est le dernier ravitaillement, il reste moins de 10Km normalement, il est 12h15, 140 Km ont été parcourus, 260 coureurs de repris depuis Soucieux (toujours les info de PE par SMS). J’ai la dalle! Je mange un peu de tout ce qui me tombe sous la main (saucisson, jambon, pain, madeleines, pâtes de fruit), je bois du coca. Je demande un verre d’eau à un bénévole pour prendre Doliprane. Il m’encourage : »Allez! Pas question d’arrêter ici». Je ne répond pas, mais il voit dans mon regard qu’il n’en est pas question. Mes 3 compères sont prêt à repartir, nous quittons le ravito, je finis mon verre d’eau en traversant la nationale, nous voilà parti pour la montée des aqueducs.
A suivre…