Petros, Tennessee, 1977
Sept prisonniers s’évadent de la prison de Brushy Mountain. Après environ 60 heures d’errance à travers les bois et les montagnes, James Earl Ray est capturé à quelques 13 kilomètres de la prison dont il vient de s’échapper. James Earl Ray, ce nom ne vous dit sans doute rien, mais il s’agit aux États-Unis d’un nom tristement célèbre. Ray étant en effet l’assassin de Martin Luther King.
C’est en entendant le récit de cette capture que Gary Cantell (alias Lazarus Lake) eut l’idée de la course qui deviendra l’ultra marathon de Barkley, dont la première édition a eu lieu en 1986. Il aurait en effet lancé en plaisantant : « en 60 heures, j’aurais sans aucun doute parcouru 100 miles ». Ce qui équivaut à 160 kilomètres.
PHOTO par Michael Hodge / CC BY 2.0
Légende : La prison de Brushy Mountain, cadre du Barkley Ultra Marathon
Frozen Head, Tennessee
Si pour nous Français, le Tennessee évoque le whisky, Nashville de la musique et, pour les amateurs de hockey sur glace, les Nashville Predators, équipe qui s’est notamment distinguée en 2017 en parvenant en finale de la Stanley Cup, le Tennessee c’est aussi un Parc National magnifique, Frozen Head.
C’est dans ce paysage aussi beau qu’inquiétant que les coureurs évoluent dans des conditions extrêmement pénibles : courant, escaladant, grimpant entre autres des parois rocheuses telles que le Danger Dave’s Climbing Wall, de jour comme de nuit, sur un itinéraire non balisé.
Le parc de Frozen Head (du nom de l’un des pics qui culmine à 3320 pieds, soit 1 000 mètres) s’étend sur près de 10 000 hectares. C’est sur ce site naturel que se situe la prison de Brushy Mountain, dont s’est échappé James Earl Ray en 1977. Bien que plus en service depuis 2009, ses bâtiments abandonnés demeurent au sud du State Park.
« Where dreams go to die »
Lorsque l’on évoque la Barkley, on évoque une course connue pour réduire à néant tous vos rêves d’aller au bout. On connaît des trailsdifficiles, mais là, il s’agit là d’un ultra marathon de l’extrême, quasi irréalisable. Récit d’une course réputée la plus difficile du monde et dans laquelle le corps et le mental sont mis, à rude, très rude épreuve… Un enfer que beaucoup sont prêts à tenter mais qui voit peu de sélectionnés.
PHOTO par Brian Stansberry / CC BY 3.0
Comment participer ?
La compétition est limitée à 35/40 participants chaque année. Pour participer il faut dans un premier temps donner un maximum d’informations sur soi pour convaincre que vous méritez de courir la course. Vous devrez en outre vous acquitter d’un modique droit d’inscription: 1,60 dollars. Le site internet de la Barkley précise non sans humour : « Au cas où vous n’auriez pas encore compris, on fait ça pour l’argent ».
Si vous êtes sélectionné pour participer, vous devrez alors vous acquitter d’un droit de participation. Celui-ci varie en fonction de votre catégorie et correspond bien à l’esprit des organisateurs: si vous participez pour la première fois, vous devrez céder une plaque d’immatriculation de votre état, lesquelles sont fièrement suspendues à l’entrée du campement. Pour ceux qui ont déjà couru le marathon, ils devront amener une paire de chaussettes (bleues ou noires) et enfin, pour les 14 « finisseurs » historiques de la Barkley, un paquet de cigarettes. Pas n’importe lesquelles, des Camel s’il vous plaît !
Les règles
Votre mission : parcourir les 160 kilomètres en moins de 60 heures à travers les montagnes du Tennessee. Le parcours est divisé en 5 boucles (loops) non balisées et comprend un dénivelé de 20 000 mètres, soit deux fois plus que l’ultra trail du Mont Blanc.
Inutile de préciser qu’il s’agit d’évoluer, de jour comme de nuit par des conditions météo peu clémentes et alors que vous êtes privé de sommeil.
Le départ de la course donne le ton : il se fait un samedi sans que les coureurs ne sachent l’heure à l’avance. Seule information : la course partira entre minuit et midi, il faut se tenir prêt. L’une des récentes courses a par exemple été lancée à 1 heure 42 du matin, en pleine nuit et en plein brouillard.
Comme dans une course d’orientation, la course requière de « pointer » à des checkpoints, qui sont au nombre de 10. Au niveau de ces checkpoints sont cachés des livres. La règle est de déchirer la page qui correspond à son numéro de dossard pour prouver qu’on a bien suivi l’itinéraire et est passé par toutes les étapes.
Pour ajouter à la difficulté : une météo imprévisible et sur le parcours, seulement deux points d’eau et pas de centre de secours.
On n’aura qu’un mot d’encouragement : good luck…
Une course impossible ?
Depuis la création de la Barkley en 1986, seuls 14 coureurs sont allés au bout ! Lors de l’édition 2018, personne n’a bouclé les 5 tours. On comprendra que la Barkley soit réputée impossible.
En 2018, la meilleure performance a été celle du Canadien Gary Robbins, seul coureur à avoir effectué 4 tours. Il se contente donc de la « fun run ». La fun run signifie réussir 3 boucles sur les 5, ce qui en soit, est déjà considéré comme un exploit. Je crois qu’on peut dire qu’une boucle dans cet enfer est un exploit !
Au cours des différentes éditions, nombre de coureurs ont connu des épreuves d’une brutalité effrayante : le Californien Dan Baglione (75 ans lors de sa participation) s’est égaré après seulement quelques kilomètres. Sa lampe et sa boussole HS, il a décidé de dormir sous un arbre. Disparu pendant plus de 30 heures il est réapparu au camp juste avant que la décision ne soit prise d’envoyer des secours. Précision : les participants signent une décharge et acceptent de payer les frais des secours, si ceux-ci devaient être dépêchés…
Andrew Thompson, participant à l’épreuve de 2006 a été victime d’hallucinations pendant des heures provoquées par le manque de sommeil.
Une année, le coureur suédois Milan Milanovich a tourné au mauvais endroit alors qu’il entamait la deuxième boucle. Erreur qui lui vaudra de se retrouver dans le périmètre de la prison (encore en service) et d’être accueilli arme au poing par les gardes. Il a alors tenté d’expliquer dans son anglais limité qu’il était un marathonien inoffensif et après trois heures sera relâché par les gardes !
Après son échec en 2016, Gary Robbins a de nouveau participé en 2017 : alors qu’il était à 20 minutes de réussir le challenge, en bonne position donc pour terminer enfin cette pénible épreuve, il est arrivé à un escalier et a aussitôt compris : « il n’y a aucun escalier sur le parcours ». Réalisant qu’il était hors du parcours, il abandonna. Il comprendra par la suite qu’il était à un peu plus de trois kilomètres de la ligne d’arrivée et déclare être toujours hanté par cet échec à juste quelques kilomètres de l’arrivée.
D’une difficulté impensable, on dit de la Barkley qu’elle est une course mentale, spirituelle, quasi mystique tout autant que physique : une véritable épreuve de survie. Sachez que si vous souhaitez relever le défi, qu’il existe une Barkley française, épreuve similaire qui se déroule dans le massif de la Chartreuse.
Le marathon de Barkley a fait l’objet récemment d’un documentaire passionnant appelé « Where dreams go to die », qui suit le canadien Gary Robbins. Dans le trailer, Robbins explique que sa fille a trouvé l’expression juste pour découvrir l’activité de son père : « papa va à la guerre »… Un autre documentaire est indisponible sur Netflix : « The Barkley Marathons, a race that eats its young ». Ces deux documentaires sont à voir de toute urgence !