Bien que je sois obligé de me lever à 5h00 du matin, je pars plutôt guilleret, car même à cette heure indécente pour une personne qui a toujours pensé que ses principales forces étaient du soir, la température est douce et il ne pleut pas. 1h15 de route tranquille, me voilà à Desaignes, lieu de départ de cette mythique épreuve de l’Ardèchois, je suis accueilli par le soleil. Inscription, remise du dossard, je croise Augustin Guibert qui se plaint de la température et regrette la pluie, voir l’absence de neige… Au delà du talent et de leurs qualités de coureurs, il y aura toujours quelque chose qui me sépare du monde de l’élite… Je m’équipe, dans ma petite voiture, en jetant des regards envieux vers les concurrents venus en camping car. Pour la 1ère fois de l’année, j’ai fait une « préparation complète »: 2 jours de malto, massage aux huiles essentielles, patch sur les (vieux) genoux, gatosport.
Km 9,7/1er sommet/9h25/ J’ai environ 15 mn d’avance sur le planning, donc tranquille et serein. J’essaye de rester concentré sur ma propre course, de ne pas me retrouver embarqué dans les allures d’autres concurrents, d’autant plus que je ne sais pas s’ils participent au 36 ou au 57 Km. Mon objectif aujourd’hui n’est pas de réaliser une performance, mais une bonne sortie longue et d’en analyser les sensations. Ah! C’est sur, ça n’à l’air de rien, mais notre activité sportive c’est toute une affaire d’analyses et de réglages. Contrôles de plusieurs paramètres: l’état musculaire, la technique de course et d’utilisation des bâtons, le niveau et la qualité de l’hydratation, l’alimentation, la gestion de la vitesse, du terrain, etc… Je suis un vrai rat de laboratoire en auto observation. Ceci étant en l’état actuel, il y a un peu de tension dans les biceps à cause des bâtons, mais en contre partie les quadris se portent à merveille, ce qui est plutôt rassurant car c’est sur la longueur que les soucis arrivent.
Km 23,1/St Jean de Roure/Ravito 1/11h25/Plus que 5mn d’avance sur mon horaire. La montée jusqu’au village de Saint Jean de Roure a été assez difficile, pas tant au niveau du parcours que par manque d’énergie. Pas évident d’effectuer 3h30 de course avant de rejoindre le 1er ravito. Je pose mes bâtons, bois un peu d’eau gazeuse, et me sers ma collation habituelle sur un ravito: banane/coca. Après avoir remplis mon bidon, embarqué du pain d’épice et récupéré mes bâtons, me voilà reparti. Rapide, efficace sans se laisser distraire, c’est la (ma) recette pour un ravito réussi. J’ai un 1h30 pour faire les 6 km avant la bifurcation pour le 57 , dont 2 Km de grosse montée. A priori ça devrait le faire, mais il ne va pas falloir flâner et ni se laisser embraquer car j’ai du mal à me situer dans la course, avec le mélange des coureurs du 36 et du 57. Une fois arrivé au 2ème sommet (Km 25,3) je branche la musique, les bâtons dans une main, j’adopte un rythme de course que j’essaye de maintenir quelque soit l’irrégularité du parcours. J’ai conscience de lâcher un peu mentalement, des pensées négatives comme de n’avoir pas fait la moitié de la distance ou de ne pas être sur d’avoir envie de continuer pendant encore des heures, me tournent dans la tête. Physiquement je sens parfois quelques petites pointes au mollet, c’est des débuts de crampes, qui doivent être dues à un manque d’hydratation (compte tenu de la chaleur , je ne bois pas assez), mais globalement ça va. J’ai les jambes et l’énergie pour aller au bout. Mais quand même, quand est ce qu’il va finir par se pointer ce foutu embranchement…?
Km 35/Sautereau/Ravito 2/13h28. On termine nos bidons avant de rentrer dans le village, croyant y trouver le ravito, quand un concurrent nous annonce qu’il faut encore faire 10 Km!!! Panique!! On demande à un vieux monsieur, qui assis sur son banc regarde ces malades courir à l’heure de la sieste, s’il peut nous dépanner? Cela ne semble pas vraiment possible, quand un autre gars arrive et nous certifie que le ravito est à 200m! Ouf! Sauvés! Sinon ils allaient avoir 2 morts sur la conscience. Je me refais une petite santé, mais surtout un moral à l’ombre du ravito. Au soleil ça cogne sec, Gilles semble avoir du mal avec la chaleur. J’essaye de le réconforter en lui disant qu’on a de la chance, qu’on pourrait avoir de la pluie, voir de la neige (comme il y a 2 ans), ce qui ne semble pas vraiment le réconforter. Il m’explique que le plus dur est à venir, avec une montée de 2,5 Km et plus de 500m de D+. Perso, ce qui m’inquiète, c’est surtout les 22 Km restant et les 4h00 de course.
Km 43,6/La Batie d’Andaure/ 15h05. Nous voilà au pied de la fameuse ascension. Avancer en binôme avec Gilles a permis aux kilomètres de défiler plus vite et de partager ces moments. C’est un des plaisirs majeurs, ces rencontres que l’on fait durant les courses et c’est ce qui restent ensuite comme les images les plus fortes. Le moral est très nettement remonté, tout va bien au niveau des sensations physiques et je n’envisage plus la fin de cette course comme un calvaire. Contrairement à Gilles, qui me demande d’ailleurs de ne pas l’attendre, je ne crains pas la montée qui s’annonce. Je rebranche la musique, le regard fixé sur le devant mes chaussures, je m’élance dans la pente. Très vite je lâche Gilles et je me retrouve seul. J’adore ces moments, cette sensation quand l’effort fourni par les jambes, les bras (avec les bâtons) fabrique cette énergie qui remonte au cerveau et procure ce sentiment de bien être, de plaisir. On se sent vivant, performant et on profite pleinement du moment présent, dans un espèce de mélange de physique et de mental. Même si ce n’est sans doute pas le terme approprié, je dirais qu’on se fait un bon trip physiologique. C’est vraiment une chance de pouvoir vivre de tels instants et j’ai toujours une pensée dans ces moments là pour ceux qui, pour des raisons diverses, ne peuvent pas ou plus connaitre. Heureuse coincidence de la play list, David Bowie avec : »We can be heroes, just for one day ».
Km 50,1/Nozières/16h31. Je traverse le village ou se trouve un petit ravito, je remplis une dernière fois mon bidon et ne m’attarde pas, sinon je vais finir devant une bière à la terrasse du café de la place. Il doit rester 5 km quand Gilles revient sur moi, il me propose de le suivre en reprenant le mode course. Très vite je le laisse partir afin de rester dans mon propre rythme et surtout de ne pas me faire une cheville dans un trou ou sur un appui mal assuré, l’objectif du jour est atteint. J’arrive en vue de Desaignes, puis c’est la dernière montée ou comme d’habitude j’enclenche le mode sprint et colle un sourire en façade. Je double 2 concurrents qui me tirent la gueule. Et oui, je sais, c’est très déplaisant de se faire doubler par un type avec la banane, qui à l’air super facile, alors que ça fait des heures qu’on en chie. Ca fait partie de mes petits plaisirs et je franchis donc la ligne en 9h20′!
Arrivée/18h01. Je retrouve Corinne, une amie de la 180 qui termine son repas et m’installe à sa table pour déguster le boeuf à la broche traditionnel, alors que démarre la remise des prix. Alors, si vous voulez assister aux remise de prix et rencontrer les vainqueurs, c’est facile, suivez moi et adoptez mon allure. Demandez à Augustin Guibert, on ne se rencontre jamais sur une épreuve, mais je suis toujours là au moment ou il va monter sur le podium.
Ultra salutations
« Faire les choses avec le sérieux d’un enfant qui joue » (JL.Aubert)