Je pénètre dans la salle des fêtes du casino, l’ambiance comme à Faugères est plutôt calme, la raison est toujours la même, on est est fin de course. On peut comprendre que les bénévoles, qui voient défiler des coureurs depuis plusieurs heures (le 1er est passé il y a plus de 4h…) ne sautent pas au plafond quand je déboule à 8h du matin Je suis classé 188 ème sur les 206 qui arriveront à Lamalou dans les temps (info que je connais pas à cet instant, je me situe plutôt dans les 5 derniers). Immédiatement je vais voir le médecin, une jeune femme charmante, pour lui raconter mes malheurs. Elle ne pourra pas me donner d’anti inflammatoire mais elle peut me proposer du Doliprane. OK! Pas de problème, il me faut un anti douleur sinon je ne pourrais pas repartir. Je mange (gâteaux salés, banane, chocolat), je bois (eau gazeuse, puis un thé chaud) confortablement assis avec les pieds posés sur une chaise, je profite au maximum de ce temps de repos, j’ai 45 mn devant moi.
Je me suis installé en plein milieu de la salle et je constate que c’est un peu la loose côté coureurs, certains sont allongés endormis ou morts…? D’autres assis, le regard vide, ne donnant pas l’impression de vouloir repartir. 2 concurrents rentrent dans la salle, effectuent un passage à la table de ravitaillement et repartent aussitôt. Leur bref arrêt me fait cogiter et je commence à me dire que si je fais de vieux os ici je vais finir par ne plus décoller de Lamalou, un peu à l’image de ceux qui m’entourent. Cela fait déjà 20 mn que je suis arrivé, je ne sens pas de fatigue, mes douleurs aux genoux ont disparu, le doliprane doit commencer à faire effet. allez hop! Je ramasse mon sac, fais le plein de la poche à eau, remplis mon bidon d’eau gazeuse, embarque 1 banane et quelques morceaux de pains d’épices et ciao la compagnie ! Il est 8h32.
Dehors, le soleil brille, le ciel est bleu et le Mont Caroux se dresse devant moi, j’ai 1h10 de retard sur mon plan (25 mn de marge sur la barrière horaire) mais je suis toujours dans la course. Dès la sortie du casino ça monte direct, je me lance dans un bon rythme de marche, bien aidé par mes bâtons. Au bout de 500m on quitte de la ville et la route pour grimper droit sur un talus qui nous amène sur une piste qui se révèle être une descente pour les VTT ! Au moment ou l’on croise une route je reviens sur un concurrent, je le dépasse sans un regard, ça en fera toujours un de plus derrière moi, ils ne doivent pas être nombreux. Ca me rebooste le moral car cela signifie que j’avance finalement pas trop mal.
Je traverse le hameau de Combes (Km 47.3) à 9h15, je n’ai plus que 30 mn de retard sur mes prévisions, c’est un nouveau coup de fouet pour la montée vers Madale. Le parcours est toujours une alternance du GR, de pistes forestières et de sentiers utilisés par les VTT(en descente, pas fou les mecs, à se cogner ce genre de montée…).D’ailleurs ici et là je découvre des constructions aménagés pour éviter que les VTTistes n’aillent s’écraser contre les arbres. Je longe un hameau avec une portion de route plate voir même un peu en descente, j’en profite pour essayer de trottiner. Pas de douleur, ou tout au moins rien qui m’empêche de courir. C’est cool, je branche la musique et me laisse un peu aller à profiter du paysage, du soleil, au plaisir d’être là, de pouvoir marcher et courir sans souffrances. Je mesure la chance de continuer à participer activement à cette épreuve, que ce n’est pas donné à tout le monde, que certains ont déjà du abandonner pour cause de blessures physiques ou morales. je découvre aussi cette solitude, peu habituelle sur les courses auxquelles j’ai participé. Ce silence, hormis le bruit de la nature, ce calme, correspond plus à ce que j’attends de ce genre d’aventure. Je ne fuis pas le contact et les échanges, mais on profite plus de l’environnement dans ces conditions.
J’arrive dans la salle des fêtes (Km 57.5) à 11h24, pile poil dans le créneau de mon estimation (11h15/11h30), je suis 170 ème sur les 189 arrivants dans les temps à Colombières. C’est limite l’euphorie, je viens de me faire plaisir durant toute la descente, aucune douleur (merci docteur et Doliprane), la famille qui vient m’accueillir et j’ai rattrapé tout mon retard. Quel contraste avec l’arrivée à Lamalou il y’a 3 heures. Je suis calmé par l’ambiance dans la salle, même si c’est plus animée qu’à Lamalou, cela me rappelle que je suis en queue de course et que tout reste à faire. Un passage à la table du ravito pour prendre du coca et me faire 2 sandwichs saucisson, je récupère mon drop bag et je me pose. Après avoir mangé et bu, je change de chaussures (des Hoka Rapa Nui je passe aux Hoka Stinson Evo), de maillot (j’enfile le beau maillot jaune Occitane 6666 offert à la remise des dossard) et de chaussettes (des Compressport vertes je passe aux Compressport rouges.). Tout en me changeant je cherche des yeux la Doc. Je la trouve dehors et elle me refile sans problème mon gramme de Dolipranne. Valérie se dirige vers moi, il est déjà 12h00, le temps passe vite. C’est déjà l’heure de repartir pour la 2ème montée du Caroux.
Toujours également avoir un œil sur les marques que l’on retrouve sur les arbres ou les rochers pour éviter de s’embarquer sur une fausse piste malgré qu’il y ait pas mal de monde sur le chemin entre les coureurs et les randonneurs. Cela me change, j’ étais habitué depuis cette nuit à être beaucoup plus seul sur le parcours. Je parviens au gîte de la Fage (Km 61.4) à 13h15, à la minute près de mon estimation. Je retrouve un petit groupe de coureurs au point d’eau (un robinet d’eau), 2 contrôleurs sont également là et nous indiquent le chemin à suivre. Mais cela ne m’empêche pas de m’égarer alors que je me suis mis dans la foulée d’un gars sans doute abusé par la beauté du site. Le coin est superbe et c’est presque déçus de ne pas avoir à passer par cet endroit qui me rappelle les Aiguilles de Bavella en Corse que nous rebroussons chemin pour retrouver une balise. Nous sommes toujours sur le GR, mais désormais à découvert et le vent qui souffle ne facilite pas l’ascension. Nous sommes à 720m d’altitude il reste encore 280m à gravir avant le sommet. Au vu de ma vitesse d’ascension (merci à ma Suunto Ambit) j’en ai pour 1 heure et non pas ½ heure comme je l’avais estimé sur le papier. Je continue en étant parfois obligé de m’aider des mains sur certains passages délicats et en regardant fréquemment l’altitude sur ma montre pour connaitre ce qu’il reste à grimper.
14h47, début de la descente sur Mons par le sentier des Gardes. Tout va bien, pas de douleurs (enfin celles qui vraiment vous font souffrir, faut pas exagérer non plus …) toujours dans le rythme, un paysage superbe, le soleil qui brille, il y a 7h00, je n’en espérais pas tant. Après avoir profité un instant de la vue de la vallée et ma destination (Mons) je plonge (au figuré bien entendu) dans la forêt. C’est beaucoup moins roulant que la descente sur Colombières, beaucoup de passages techniques avec des franchissements de rochers, il est impossible de courir sur ce passage. Je marche très prudemment, certains rochers sont très glissants et comme il n’y a pas vraiment de sentier, il faut rester vigilant aussi car le ravin est impressionnant. Après 4 km de ce régime c’est la passerelle des Soupirs, je l’emprunte tranquillement, sur l’autre rive un photographe est posté, je lui fais mon plus beau sourire. Je retrouve la route et également le dossard 1087 (qui m’a donc redoublé), il est avec son «pacer» qui lui prodigue encouragements et conseils. Je reste un moment avec eux puis je les quitte dans la descente sur la base de loisirs de Mons, lieu du ravito.
Mons la Trivalle, 16h19, 71,4Km, mon Road Book me prévoyait 16h30! Si ça ce n’est pas de la bonne estimation!! 152 ème sur 172 concurrents arrivé dans les temps à Mons. Je n’ai pas ces informations à cette heure mais aujourd’hui à leur lecture, on se rend compte qu’on a perdu environ 20 coureurs sur la section depuis Colombières et que j’ai toujours une vingtaine de concurrents derrière moi. Ceci étant plus j’avance, plus les ravitaillements m’apparaissent animés. Ici, les coureurs sont, soit à l’extérieur avec les bénévoles qui profitent du soleil et de la douceur de la fin d’après midi, soit dans la salle pour se ravitailler ou se reposer. Je pénètre à l’intérieur et comme j’en ai désormais pris l’habitude, j’installe mes 2 chaises, que je colle à la table du ravito. avec les quelques coureurs présents on tape la causette avec le «barman» qui nous rappele qu’il fallait aller plus vite si on souhaitait avoir du pain lorsqu’on lui fait remarquer qu’il n’y en a plus… Sa manière de nous chambrer est plus ou moins bien accepté par les différents concurrents… Après avoir avalé une collation à l’allure de goûter (thé+pain d’épice+chocolat+coca+ gâteaux secs), je pars à la recherche de mon dealer préféré pour ma dose de Doliprane. Je la retrouve dehors, après avoir pris des nouvelles de ma santé (tout va bien grâce à vous et à votre remède miracle), je me prépare à repartir. J’avais prévu 30 mn de pause, elles sont quasiment écoulées. Une banane, quelques gâteaux dans la poche du sac, le plein d’eau gazeuse, le niveau de mélange Hydraminov+eau dans la poche, j’enfile ma veste et reprends la route.
C’est aussi et surtout cela un ultra, ces moments partagés, ces rencontres, qui font d’une course de véritables aventures humaines. Nous voilà au pied de la 3ème et dernière montée sur le Caroux avec 2 étapes intermédiaires avant Olargues, le Bardou et le Pic du Montahut. Avec Stéphane on décide de progresser chacun à son rythme, de pas s’attendre ou s’obliger à se suivre. On sort du village, la montée est immédiatement abrupt, le parcours emprunte le GR et l’on peut ainsi utiliser les repères rouges et blancs pour s’orienter. Je prends de l’avance sur Stéphane avec l’aide de mes bâtons, mais même si un sentier se dessine, je dois parfois m’aider des mains pour franchir de gros blocs de pierre.
C’est avec un certain soulagement que je distingue une silhouette plus haut, j’accélère afin de le rejoindre. Une fois à sa hauteur, rassuré de savoir que je ne suis pas seul au milieu de la montagne à cette heure, je pense rester en sa compagnie au moins jusqu’au sommet. Je papote un peu avec lui( vous savez comment ça fait quand on a rien dit pendant des heures on se sent obligés de raconter un peu tout et n’importe quoi). Au bout d’un moment je prends conscience que j’ai 10 m d’avance et que je parle un peu dans le vide. Tant pis, je continue seul, il est 20h00 quand je croise une piste et le point d’eau (958m, Km 81,3). Cela fait plaisir de retrouver des membres de l’organisation(en fait je suis très heureux de trouver des gens, la solitude doit commencer à me peser), je bois quelques gorgées d’eau fraiche et je remplis ma gourde. Ils m’indiquent la direction: encore 100m de forte grimpette, on pique à gauche, on contourne le Montahut et c’est la descente. Je suis toujours dans le timing même s’il me faut une bonne dizaine de minutes avant de vraiment commencer à descendre.
Après quelques lacets roulants on surplombe une rivière, puis on traverse une piste avant 1,5km de sentier bien tracé qui nous amène au lieu dit le Cros. Il est 20h40, à couvert de la forêt la visibilité devient plus difficile. Depuis un moment, j’aperçois au fil des détours du chemin un petit groupe de coureurs que j’aimerais bien rejoindre afin de me caler dans leur pas. Je passe au hameau du Cros, on retrouve la route et dans la descente qui amène à Olargues je finis par rejoindre les 4 coureurs que j’avais en point de mire. Arrivé à leur hauteur, un petit salut et au lieu de me mettre dans leur foulée, je continue sur ma lancée, porté par mes Hoka, it’s time to fly! Un croisement, une grande route (après ce que j’ai traversé j’ai l’impression que cette départementale est une véritable autoroute.) et j’arrive en vue d’Olargues.
A suivre.