En quelques années, le drop est devenu l’un des critères de choix d’une chaussure de course à pied. Une mesure tellement précise qu’elle se joue au millimètre près. Certains kinésithérapeutes, podologues n’hésitent pas à donner un chiffre extrêmement précis. Le but de cet article est de donner mon avis de coureur / testeur depuis plus de 15 ans, de présenter le drop et son apparition et d’apporter un peu de contradiction. En effet, je reste assez partagé sur l’importance de ce chiffre. Je comprend la théorie, je comprend l’importance de ce marqueur mais quelques éléments posent questions. Alors le drop : révolution, chiffre magique ou ?
Le drop d’une chaussure, également appelé « différentiel », représente la différence de hauteur entre le talon et l’avant-pied, exprimée en millimètres. Il s’agit donc de la pente de la semelle : plus le drop est élevé, plus le talon sera surélevé par rapport à l’avant-pied, créant ainsi une inclinaison vers l’avant.
Par exemple, une chaussure avec un drop de 10 mm signifie que votre talon est positionné 10 millimètres plus haut que l’avant de votre pied. Un drop de 0 mm, quant à lui, indique que votre pied est totalement à plat, sans inclinaison.
Pour comprendre son apparition et son importance actuelle, il est essentiel de retracer l’évolution des chaussures de course à pied et l’influence croissante des connaissances en biomécanique dans leur conception.
Jusqu’au début des années 1970, les chaussures de course étaient très rudimentaires. L’amorti au talon, aujourd’hui omniprésent, était encore marginal. Les chaussures étaient principalement conçues pour protéger le pied des aspérités du sol, mais avec peu de recherches sur les impacts répétés que subissait le corps pendant la course.
C’est à cette époque que des marques comme Nike et Adidas ont commencé à innover en intégrant des technologies d’amorti plus sophistiquées. Nike, avec sa célèbre semelle Waffle conçue par Bill Bowerman, a ouvert la voie à l’introduction d’une semelle plus épaisse sous le talon pour amortir les chocs, créant ainsi, sans le savoir, les prémices du concept de drop. Cependant, cette différence de hauteur entre le talon et l’avant-pied n’était pas encore conceptualisée ni utilisée comme critère technique.
Avec l’explosion du jogging et du marathon dans les années 1980, les marques de running ont intensifié leurs efforts pour concevoir des chaussures plus confortables et protectrices. Les chaussures avec un amorti épais au talon sont devenues la norme, notamment pour réduire les blessures chez les coureurs amateurs, souvent plus enclins à attaquer le sol avec le talon.
Les marques comme Asics (avec son célèbre système Gel), Nike (avec l’introduction de l’air dans la semelle), ou encore Brooks ont alors mis l’accent sur des chaussures à talon élevé, sans vraiment considérer la différence de hauteur entre le talon et l’avant-pied comme un paramètre distinct. Le drop existait déjà, mais il n’était ni nommé ni mesuré avec précision. La priorité restait avant tout le confort et la protection du coureur.
C’est à partir des années 2000 que les premières réflexions autour du drop ont véritablement émergé. La communauté scientifique s’est intéressée de plus près à la biomécanique de la course à pied, et des études ont montré que l’attaque talon, favorisée par les chaussures à amorti élevé, pouvait entraîner certaines blessures. Les blessures liées à l’impact répété sur les genoux et les hanches, telles que la tendinite rotulienne et le syndrome de la bandelette ilio-tibiale, ont commencé à être davantage étudiées.
Face à ces problématiques, une nouvelle approche de la course, basée sur une foulée naturelle, a vu le jour. C’est dans ce contexte que des coureurs et des experts ont commencé à prôner un retour à une foulée plus avant-pied ou médio-pied, considérée comme plus proche de la biomécanique naturelle de l’homme. L’idée était que les chaussures avec un drop plus faible ou nul permettraient de limiter les chocs au niveau des articulations, en sollicitant davantage les muscles et tendons du pied et du mollet.
Le concept de drop s’est véritablement imposé dans la conscience collective du monde du running avec la parution du livre « Born to Run » de Christopher McDougall en 2009. Ce best-seller a mis en lumière les bienfaits de la course pieds nus (barefoot running), en prenant comme exemple les coureurs de la tribu mexicaine des Tarahumaras, capables de courir de longues distances sans chaussures ou avec des sandales rudimentaires.
Ce livre a popularisé l’idée que les chaussures modernes, avec leur talon surélevé, perturbaient la foulée naturelle. Des marques comme Vibram ont alors lancé des modèles de chaussures minimalistes, comme les célèbres FiveFingers, qui ont un drop nul, imitant la course pieds nus.
En réaction à cette tendance minimaliste, d’autres marques ont introduit des chaussures avec des drops variés, permettant aux coureurs de choisir une chaussure en fonction de leur style de foulée. C’est à ce moment-là que le drop est devenu un critère commercial majeur, apparaissant sur les fiches techniques des modèles.
Depuis les années 2010, le drop est un élément de catégorisation incontournable dans le choix des chaussures de running. La plupart des marques proposent désormais des gammes avec différents drops, allant du drop nul pour les adeptes de la course naturelle ou minimaliste, à des drops élevés pour les coureurs traditionnels attaquant talon.
Les marques comme Altra ont mis le drop nul au cœur de leur identité de marque, tandis que d’autres, comme Hoka , ont réussi à combiner des drops faibles avec un amorti très épais, introduisant des chaussures maximales, mais sans les inconvénients d’un talon trop surélevé.
Les chaussures de running se déclinent en plusieurs catégories selon leur drop :
Maintenant que le décor est planté, que vous savez exactement ce que représente le drop, vous vous dites sans doute que tout semble justifié et argumenté. Effectivement tout semble cohérent et j’avoue que la théorie, la mise en oeuvre est parfaite. Les marques donnent une mesure exacte (un peu compliqué à vérifier sans découper la chaussure).
Dans mon esprit, sur la base d’une théorie, les marques font leur travail et propose différentes gammes avec plus ou moins de drop, sur ce plan rien à dire. Ce qui me pose problème ce sont plus les évangélistes du drop au millimètre qui explique qu’un millimètre peut tout changer…
Une personne proche de moi a eu des petits soucis lié à la course à pied. Elle a vu le généraliste, le kiné et finalement le podologue pour arriver à la conclusion qu’il fallait une paire de chaussures avec un drop de 5 mm. Pas 4mm, pas 6 mm mais bien 5 mm.
Mais ayant quelques notions de mathématique, je comprend qu’au delà du drop c’est surtout l’angle du pied par rapport au sol qui est important et c’est là que je m’interroge. En calculant l’angle d’un drop de 5 mm, si l’on considère que le drop entre le milieu du talon et le dessous du médio-pied donc environ 70% de la longueur totale d’un pied
Quelques calculs sur la base d’un drop de 5 mm
Taille | Longueur | Longueur drop | angle en degrés | pente en % |
37 | 230 mm | 160 mm | 1,8 | 3,1% |
42,5 | 270 mm | 190 mm | 1,5 | 2,6% |
Quelques calculs sur la base d’un drop de 8 mm
Taille | Longueur | Longueur drop | angle en degrés | pente en % |
37 | 230 mm | 160 mm | 2,8 | 5% |
42,5 | 270 mm | 190 mm | 2,4 | 4,2% |
Comme vous pouvez le voir, l’angle par rapport au sol dépend bien sûr du drop mais aussi de la pointure. Si on refait les calculs avec avec un 36 et un 45, vous verrez qu’un même angle peut être induit par des drops différents. Seul le drop 0 mm a un angle constant quelque soit la pointure.
A part si vous courez sur une stade, il est peu probable que la route sur laquelle vous pratiquez votre sport favori soit complètement plate entre -2% et 2% vous ne sentirez quasiment pas la différence. La différence entre un drop de 6 mm et 8 mm est infime à l’échelle de notre pratique.
Il existe 2 autres facteurs qui peuvent influer sur la valeur du drop à court et à plus long terme : l’érosion de la semelle d’usure mais aussi l’écrasement de la semelle intermédiaire. Vous pouvez le constater sur la semelle de deux paires de Nike Invicible Run 3 (une qui a plusieurs centaines de kilomètres et une qui à moins de 100 kilomètres).
En fonction de la zone d’érosion et des zones d’appuis, il est clair que le drop peut évoluer de quelques millimètres à la hausse ou même à la baisse tout au long de la vie. Concernant l’écrasement Sur une durée de vie de 1000 km, avec 1000 foulées par kilomètres, c’est plus d’un demi million d’impacts avec un poids de 75 kg (en moyenne) qui s’abattent sur chaque semelle. Une attaque talon aura tendance sur le long terme à faire baisser le drop (écrasement sur l’arrière de la semelle plus important) alors qu’on attaque médio-pied va augmenter le drop (écrasement sur l’avant plus important).
Depuis près de 15 ans, j’ai testé des centaines de paires de chaussures différentes avec des drops différents de 0 à 12 millimètres. Je ne me suis jamais focalisé sur ce chiffre mais uniquement à mes sensations. Je n’ai jamais été blessé à cause de tel ou tel taille de drop. Pour moi, ce chiffre évolue sur la durée de vie de la chaussure. Il n’est donc pas figé dans le marbre. De plus un drop de 6 mm en 36 est quasiment équivalent à un drop de 8 mm en 45. Je pense qu’il faut apprendre à relativiser ce chiffre et ne pas rentrer dans un psychose qu’une blessure est causée par un drop de 2 mm trop grand. Il y a sûrement d’autres facteurs.