Maria, c’est d’abord un sourire. Elle ne s’en départit jamais. Toujours figée sur son visage même au plus dur d’une épreuve. Maria, c’est aussi une volonté de fer dans un corps d’adolescente. Maria, c’est quelqu’un qui semble ne jamais renoncer, ne jamais abdiquer. Maria c’est bien d’autres choses encore et en quelques années, elle a réussi à se faire sa petite place dans le petit monde de l’Ultra français. Nous avons croisé son chemin. Pour notre plus grand plaisir. Morceaux choisis !
Bonjour Maria, gardons les présentations pour plus tard. Une question d’emblée qu’il me tardait de te poser : on a le sentiment qu’à chaque fois que tu prends le départ d’un ultra, rien ne peut t’arriver et que tu arriveras au bout sans jamais baisser de rythme. Tu en penses quoi ?
Et bien je ne serai pas aussi catégorique évidemment car sur n’importe quelle épreuve, tout peut toujours arriver, mais en tout cas à chaque fois que je m’élance sur un ultra, je ne laisse rien au hasard. J’essaye de me préparer au mieux, de ne pas faire d’erreur. Et puis aussi, je ne peux pas envisager l’abandon. Pour moi c’est hors de ma vision des choses. Depuis que je cours, j’ai stoppé une seule fois une course. Parce que j’étais malade avant de partir et que je n’aurais jamais dû la faire. J’ai arrêté au bout de six bornes. D’ailleurs, je tiens à préciser qu’à chacun de mes ultras, je suis une période de préparation et je m’y tiens. Je ne sais pas comment font les coureurs qui enchainent des longs tout le temps… Je ne les juge pas car sûrement y trouvent‐ils satisfaction mais je me demande combien de temps ils vont pouvoir ainsi durer. Je trouve que cela donne quelque part une mauvaise image de notre discipline dans la mesure où ainsi tout le monde pense que tout est faisable, que l’ont peut s’enquiller des ultras comme on ferait un 10km. Cela n’est pas vrai. Chacun fait ce qu’il veut évidemment mais ensuite il ne faut pas se plaindre de voir autant de déçus, autant d’abandons sur certaines épreuves.
Reprenons maintenant dans l’ordre. Comment t’es venu cet attrait pour les ultras ? Tu cours depuis longtemps ?
Et bien la course, pour moi, a débuté avec un défi lancé par un ami. Il m’a demandé si je me sentais capable de faire le 18km de la Romeufontaine. C’était en 2008. Je ne courrais qu’occasionnellement, juste pour me maintenir en forme à l’époque et j’avais juste fait une course jusque là, les Boulevards de Colomiers l’année d’avant. Ce ne fut pas facile, mais j’y suis arrivée et surtout j’ai chopé le virus du trail. Quelques mois après je faisais un 40km et je n’ai jamais cessé d’augmenter les distances dès lors. J’ai 40 ans et je n’ai pas fait d’athlétisme dans ma jeunesse. Moi c’était plutôt la natation. D’abord de 6 à 16 ans à un niveau, disons, interrégional et puis ensuite je suis passée à la nage avec palmes sur courtes distances où j’avais un niveau un peu supérieur. Personne dans ma famille ne pratiquait la course à pied et les seuls souvenirs que je puisse garder d’une quelconque course, c’est quand je défiais mon frère en descente pendant les vacances quand je partais en montagne avec mes parents. Vous voyez donc que c’est vraiment le hasard finalement qui m’a propulsée dans ce milieu.
Depuis donc, tu t’es taillé un palmarès assez impressionnant qui ferait rêver même de nombreux garçons. Il y a une course qui t’a le plus marqué, jusqu’à présent ?
Je pense d’entrée à mon UTMB de 2013 où je finis septième. Mais ce n’est pas tant le classement que je retiens mais plutôt comment la course s’est déroulée. Je suis très perfectionniste. A chaque fois que je m’élance sur une épreuve, je me prépare des temps de passage et j’essaye de m’y tenir. Quand, comme ce fut le cas donc ce jour‐là, tout se déroule comme programmé, quand je n’ai pas de coup de barre, quand je tiens mon plan jusqu’au bout, je me dis que j’ai vraiment réussi ce que je voulais faire et je suis vraiment contente. Quand, par contre, pour x raisons, il y a quelque chose qui ne se passe pas comme prévu. Quand, même, les conditions n’étaient pas celles qui étaient prévues et que forcément tout le monde doit revoir ses calculs à la baisse, moi cela ne me va pas. J’ai toujours en tête ce que j’aurais espéré faire et au final, même si je suis très bien classée, j’ai un petit regret. Je sais, ça parait bizarre de dire ça, mais c’est ainsi. Par exemple sur mon GRP où je l’emporte, j’ai trop souffert sur la fin, ainsi surmonMont Fuji, cette année, j’ai eu un moment dans le dur où j’ai perdu beaucoup de temps, ensuite les commissaires m’ont retenue une vingtaine de minutes car je n’avais pas avec moi les bonnes cartes. Tout ça, ce ne sont que des détails, mais moi ça me perturbe…
Tu as l’air d’avoir un sacré caractère finalement. Mais que penses-tu donc de la place de la femme dans ce monde très rude tout de même de l’ultra ?
Je vous arrête tout de suite, je ne suis pas du tout féministe. Pour moi, je n’ai rien à prouver à personne. Je cours pour moi et c’est déjà bien. Je ne raffole pas, par exemple, des courses réservées qu’aux femmes. Je sais que certaines ont un peu peur de se retrouver dans des pelotons avec des hommes et que justement elles profitent de ce genre d’épreuves pour pratiquer tout de même. Je peux le comprendre du coup mais, même si je suis très satisfaite en tant que femme, de performer souvent pour les premières places du général, je n’en fais pas tout un plat. C’est ainsi. Les femmes ont sûrement des qualités physiologiques et mentales qui leur permettent d’endurer plus de souffrance sur une épreuve. Peut‐être. Mais ce n’est pas bon de toujours vouloir comparer les deux sexes de toute façon. Cela n’empêchera pas la femme, de toute façon, d’être maltraitée dans certains endroits ou de ne pas être reconnue. C’est toujours appréciable sur des épreuves en France d’être supportée et encouragée avec enthousiasme quand vous êtes la première femme. Cela fait chaud au coeur et ça aide. D’ailleurs pour l’anecdote, sur le 100 Miles du Sud que je remporte cette année, je finis avec un homme. Moi neuf et lui dix. Et évidemment tout le monde m’a sauté dessus et je lui ai un peu volé, bien malgré moi, la vedette. Je lui ai écrit ensuite pour m’excuser de ce fait. (NDLR : rires )
Tu as déjà un beau palmarès, du coup, quelle course te fait envie ? Tu sais ton programme de 2015 par exemple ?
Il y a plein d’épreuves qui me font rêver bien sûr. Le fait cette année d’aller au Japon, ça m’a donné envie de bouger un peu. Aussi j’ai tenté l’inscription à la Hardrock et à la Western States aux Etats‐Unis mais comme le tirage au sort des deux épreuves a lieu début décembre, je ne pourrai envisager la suite qu’une fois que je saurais… J’ai aussi mis une croix sur les Dolomites en Italie et puis il y a la Réunion qui me fait de l’oeil. J’y suis allée en 2009, mais bon c’était ma première vraie expérience sur du long et là je voudrais y aller dans d’autres conditions. Mais bon, tous ces déplacements coûtent chers forcément et pour le moment je suis obligée de poser mes congés, de me payer le voyage… Du coup, je ne peux pas aller partout sans arrêt comme les coureurs des teams … … J’ai un sponsor qui s’appelle I‐Run qui m’aide beaucoup au niveau matériel. Je ne désespère pas d’intégrer un jour un gros team d’une marque, même si ce n’est pas ma priorité non plus. Je cherche dans le trail à me faire d’abord plaisir et je privilégie le plus possible le partage. Si je peux faire des épreuves en équipes, je ne rate jamais l’occasion. J’ai une très bonne amie qui fait de l’ultra elle aussi, sur route dans son cas, et c’est grâce à elle que j’ai pu participer au Grand raid de la Réunion. Nous nous étions, en effet, inscrites par équipes à l’époque. Pouvoir vivre ce genre d’aventure, au demeurant, très individualiste avec d’autres gens que l’on apprécie, cela n’a pas de prix. Pour moi, c’est l’essence même de ce que je recherche dans ce sport. Pour clore avec les courses qui me font envie, je pense aussi de plus en plus souvent au Tor des Géants. J’ai l’impression qu’il me siérait à merveille. A voir donc !
Et ton boulot dans tout cela, il te laisse assez de temps pour t’entraîner ?
J’ai la chance, si je puis dire, d’être professeur d’EPS. Et qui plus est, j’enseigne la course à pied à l’université. Je ne pouvais espérer mieux. Nous sommes mêmes à l’origine d’un module accessible à tous les étudiants qui peuvent leur permettre d’engranger des points dans n’importe quel cursus, comme une option en plus. C’est génial. Je m’occupe d’un groupe que j’emmène vers le trail. Il y a même quelques bons éléments qui s’orientent vers l’ultra… Je ne pouvais demander mieux. Je suis comblée ainsi.
Pour conclure notre rencontre, qui pourrait se poursuivre très longtemps tellement tu sembles passionnée par l’ultra, comment vois-tu l’avenir du trail ?
Comme je dis toujours, je ne connais pas le début de la discipline, ni les pionniers de ce sport, par contre je vois comment cela est aujourd’hui avec les teams, l’équipe de France, les challenges et j’ai l’impression que plus ça va, plus le monde du trail a tendance à se codifier et cela me fait un peu peur. Je sais que c’est difficile peut‐être de faire différemment mais on a ce sentiment étrange que tout le monde essaye des choses, tout le monde aimerait bien s’approprier une part du gâteau finalement, et que cela n’est pas forcément bon pour la discipline ou du moins l’âme de la discipline. Pour moi le trail, cela doit rester une aventure, une découverte, du partage aussi et pas forcément quelque chose où tout sera cadenassé et où, sous prétexte de sécurité à outrance, on ne pourra plus prendre aucun risque. Mais évidemment c’est ma façon de voir les choses, cela n’engage que moi…
Le palmarès de Maria